Mode in Textile

Le denim continue sa marche vers le développement durable

Icône de la modernité, uniforme ouvrier et désormais uniforme du monde entier, avec 2 milliards de jeans fabriqués chaque année, le jean s’est imposé comme le vêtement universel.

D’après les prévisions du cabinet d’études Research and Markets, le marché américain du jean à lui seul devrait progresser de 4,9% d’ici 2023, demeurant ainsi à la première place, quand dans le même temps le marché d’Amérique du Sud devrait enregistrer la plus forte hausse, de près de +12,1%.  Le marché mondial du denim était évalué à 56 178,1 millions de dollars en 2017 par l’étude de Prescient & Strategic Intelligence, et devrait afficher un taux de croissance annuel composé de 5,8% au cours de la période 2018-2023.

Cependant ainsi que le rapporte l’ONG Greenpeace, le processus de fabrication d’une paire de jeans nécessite environ 7000 litres d’eau. Faisant dès lors de l’industrie du denim l’une des plus consommatrices au monde. Un problème que les marques ont bien cerné donc, puisque certaines marques iconiques ont décidé de s’orienter vers une consommation plus durable, tandis que de nouvelles marques spécialisés dans le denim éthique émergent. Comment l’industrie du jean vit-elle sa transformation vers durable ?

Une production coûteuse pour l’environnement , mais  des fabricants qui innovent

La célèbre marque Gap a annoncé une collaboration avec la Better Cotton Initiative (BCI), au coton certifié qui représente désormais 4% de la consommation mondiale de coton, afin de n’utiliser que du coton durable d’ici 2025. Cette question du coton reste centrale, la mondialisation ayant profondément modifié  les modes de fabrication et par conséquent la qualité du jean.

En effet, comme l’explique FashionUnited,Les nouvelles opportunités pour la production de masse de jeans ont permis aux fabricants de remplacer le coton coûteux, par le stretch et le polyester. Les usines et les entreprises de vêtements se sont creusés la tête pour trouver des fibres plus économiques, pour leur utilisation dans leur denim, afin de répondre à la demande de jeans à bas prix. Alors qu’à l’époque l’Italie et l’Amérique étaient les principaux producteurs, la production de masse de denim a changé le processus de fabrication des jeans, passant le flambeau à la Chine, la Turquie, le Brésil, l’Inde, le Bangladesh et le Vietnam.” 

Gap a également annoncé  un nouveau partenariat avec Arvind Limited, son partenaire fournisseur de longue date en Inde,  pour proposer des solutions innovantes en investissant dans dans une nouvelle installation de traitement de l’eau et un nouveau centre d’innovation afin de promouvoir l’adoption de techniques et de technologies éprouvées réduisant l’utilisation de l’eau par l’industrie textile.

C’est notamment dans les teintures que les progrès sont enclenchés depuis quelques années.  En 2017 déjà, la Texas Tech University présentait la solution IndigoZERO de Indigo Mill Designs (IMD), utilisable en teinture mousse des fils. Le procédé de coloration avec mousse de l’IMD permet également aux fabriques de tissus de produire des quantités beaucoup plus petites que les procédés de teinture conventionnels, et ce afin de réduire le gaspillage et de proposer de plus petites séries de tissus. A l’époque déjà, le fabricant Wrangler faisait partie des premiers investisseurs, ainsi que Lee Jeans ou encore Walmart. Et de nombreuses autres initiatives ont fleuri, la teinture étant l’une des étapes les plus importantes et polluantes dans la fabrication du jean.

La marque américaine Wrangler  a ainsi récemment annoncé la sortie d’une ligne nommée Indigood, dont le processus de teinture élimine 99,99 % des quantités d’eau utilisés dans le processus de fabrication, 60% moins d’énergie comparée à une teinture habituelle, et 30% de coton recyclé. D’après Wrangler, les 0,01% restant sont mobilisés pour l’entretien des machines et afin de mixer les solutions.  L’entreprise a également annoncé souhaiter économiser 5,5 milliards de litres d’eau d’ici 2020, et de se fournir en coton recyclé uniquement, d’ici 2025. Une annonce peu surprenante, puisque Wangler appartient à VF Corporation (qui détient également The North Face, entre autres), et  que le groupe a décidé de s’engager de manière plus intense sur les questions de bien-être animal et de durabilité.

Des marques à la pointe de l’éthique et de l’innovation

Une simple recherche sur internet, et les tops de marques de jeans éthiques abondent , témoignant d’un intérêt pour de nouvelles façons de consommer. En effet, depuis quelques années désormais, certaines initiatives ont posé les jalons d’une production plus consciente.

Ces initiatives touchent d’abord les marques historiques telles que la célèbre marque Levi’s, qui grâce à son Eureka Lab développe de nouvelles technologies :laser pour délaver les jeans, impression 3D, recyclage des fibres de coton entre autres. La marque a par ailleurs décidé de parier sur l’avenir avec son “take a stand for what’s most important : people all over the world” et communique dessus via son site,  mettant en avant ses nouveaux partenariats, ses usines, ses projets, par exemple celui d’utiliser d’ici 2020 100% de coton certifié par The Better Cotton Initiative.

Les transformations se jouent réellement au niveau des process et des acteurs impliqués dans la production et la consommation, usines mais également consommateurs jouent également un rôle important. La marque Everlane (US) a décidé de produire au Vietnam au sein de l’usine Saitex, certifiée LEED (Leadership in Energy and Environmental Design. La marque MUD Jeans (Pays-Bas) fonctionne quant à elle sur un modèle d’économie circulaire, incitant les clients à retourner leurs jeans usés afin d’en réutiliser les fibres, les mélangeant à un coton certifié GOTS, ou permettant encore la location de jeans par abonnement, notamment pour les enfants.

Le site Refinery29  a évalué d’autre marques, mais le phénomène est d’autant plus intéressant que des marques initialement peu investies dans les questionnements éthiques, modifient leur approche et leurs fournisseurs. On peut citer par exemple la marque White Stuff, une enseigne fast-fashion, qui a également décidé de collaborer également avec Saitex .

La marque G-Star s’est de son côté penché sur la question de la teinture et a sorti en novembre 2017 une collection de jeans teints naturellement nommée EarthColor Jeans, à partir des colorants naturels proposés par la société Archroma.

A la pointe de l’innovation se situe cependant la marque espagnole Jeanologia, qui s’est imposée comme l’une des compagnies leader en matière de technologie durable, notamment en matière de finition de jeans avec l’usage du laser, de l’ozone ou des nano-bulles entre autres. En 2017, Jeanologia dévoilait à Paris de nouveaux outils conçus pour  « désintoxiquer » l’industrie du denim, en éliminant notamment le permanganate de potassium dangereux, grâce à sa solution laser Light PP Spray, ou le processus One Glass, one Garment QUI permet d’économiser 95% d’ eau, 90% de produits chimiques et 40% d’énergie. Jeanologia avait également lancé le Quantum espace, un simulateur de design numérique pour le denim qui voulait emmenr les visiteurs vers « une nouvelle dimension du lavage du jeans ».

Cette année la compagnie a dévoilé lors du salon ITMA 2019 qui se tenait à Barcelone, un nouveau modèle de sourcing et de production, un modèle numérique  présenté  comme éco-efficaceneutre en termes de coûts, évolutif, agile et numérique, reliant le design, la production et le consommateur,  sans impact sur l’environnement. La marque a ainsi présenté son premier centre de production entièrement équipé de ses différentes technologies.

Le made in France

Tandis que les origines du denim sont françaises, aussi les marques qui se sont penchées sur la fameuse “toile de jean”  existent et prospèrent,  en s’orientant notamment vers une production locale.

Si historiquement, l’Atelier Tuffery fait partie des pionniers du jean français et continue de faire perdurer son savoir-faire comme tailleur-confectionneur de jean, la marque sait aussi innover. Alors que le coton constitue 80 % de ses matières premières, l’entreprise familiale, qui avait déjà commencé à développer des jeans en toile de chanvre il y a quelques temps, souhaite se démarquer. Pour l’année 2023, elle envisage de réduire la proportion du coton à 50 %, puis à n’exploiter que des matières premières locales à l’horizon 2033. (A noter que même le géant du denim Levis s’est récemment positionné sur l’utilisation du chanvre dans sa toile denim!)

Les initiatives foisonnent sur le territoire, comme avec celles de  la marque 1083 par exemple. Ainsi la marque, qui a sorti en 2018 un jean en coton recyclé pour enfant, disponible à la location, et annonce pour l’hiver un jean en 100% polyester recyclé issu des déchets marins – et qui a par ailleurs créé un centre de formation, l’école du jean, afin de former couturiers et couturières – s’inscrit dans une économie totalement circulaire, garantissant que les vêtements soient fabriqués à moins de 1083 kilomètres. Le fabricant 1083 utilise par ailleurs un laser permettant de délaver les jeans, une première en France.  Une des initiatives les plus récentes de 1083 est son projet de paire de jeans Infini, recyclable à l’infini. Ainsi que l’explique la marque sur le site de crawfunding ulule:

Le cycle de vie du jeans Infini commence chez la société Antex qui fabrique le fil Seaqual™ en Espagne (à 80 km de la frontière française), composé de bouteilles plastiques et de déchets marins recyclés. Nous teignons ce fil 100% recyclé,  à Pont-de-Labeaume (07), nous le tissons à Coublanc (71), puis nous confectionnons à Marseille (13) les jeans Infinis.Grâce aux différentes propriétés du polyester, le denim Infini est très agréable au toucher. La toile est associée à des boutons, fils à coudre et étiquettes de la même matière. C’est ce travail de recherche monomatière qui a permis de concevoir un jeans Infini c’est à dire 100% recyclable !

On peut également citer la jeune marque Le Gaulois, qui lance sa première  collection de jeans ecoresponsables made in France, fabriqués en lin, et la marque Dao , elle aussi positionné sur l’écoresporabilité et le circuit court avec  ses paires de jeans à base de lin cultivé dans le nord de la France.

La très connue marque marseillaise Kaporal  propose quant à elle une collection nommée Matelot. L’idée ? Si Nîmes a donné son nom à la toile (Denim), c’est Marseille, sa voisine du Sud de la France qui s’est imposée depuis près de 40 ans, comme la capitale française de la confection de jean. Kaporal ravive l’histoire du jean sur ses terres d’origine et participe ainsi à la création et à la sauvegarde du savoir faire et de l’artisanat français, en collaborant notamment avec les Ateliers Anaïs. La French touch supplémentaire : le surfilage des cotes intérieures et la piqûre chaînette de l’intérieur ceinture sont composés de fils tricolores bleu, blanc et rouge. Ce développement s’inscrit dans la volonté des équipes de Kaporal de mettre en avant une expertise française dans le jeans et de mettre en avant un territoire.

A citer également d’autres marques françaises comme Galucebo, qui  propose des jeans écologiques, à partir de coton biologique, ou la marque AVN  (Atelier de la Venise Normande), qui propose son premier jeans 100% recyclé, fabriqué en France.

Comme le révélait un rapport publié par le Global Fashion Agenda et la Sustainable Apparel Coalition en partenariat avec le Boston Consulting Group, 75% des acheteurs considèrent la durabilité comme très à extrêmement importante pour eux.

La solution vers une industrie du denim durable se situe peut-être aussi en-dehors des territoires traditionnels des teintures moins polluantes ou du coton biologique.  Au-delà des innovations et des initiative vers une mode plus éthique, l’avenir du jean réside peut-être aussi dans les 4R : réduire, réparer, réutiliser, recycler, un modèle circulaire, peut-être en passe de devenir un business model efficient et reconnu.

-28/06/19-