Mode in Textile

Sylvie Chailloux – Présidente de Textile du Maine

Sylvie CHAILLOUX est dirigeante de la société de confection Textile du Maine, labellisée Entreprise du Patrimoine Vivant, mais également co-présidente du groupement professionnel Mode Grand Ouest, Vice-Présidente de l’Union Française des Industries Mode et Habillement, et Chevalier de la Légion d’Honneur ! Véritable référence, elle a accepté de nous livrer ses réflexions sur l’innovation au sein d’une filière en mutation.

Innover : qu’est-ce que cela signifie pour vous, au sein de votre entreprise Textile du Maine ?

Innover est une nécessité pour les entreprises. A la croisée des chemins, il s’agit de s’adapter à une époque nouvelle. La simple amélioration des produits et des procédés ne suffit plus à créer de la valeur. L’heure est à l’innovation tant matérielle qu’immatérielle dans les produits, les procédés et les services de l’entreprise, pour aller vers le meilleur positionnement possible et satisfaire nos clients. L’innovation va forcément conduire à des changements, un changement d’organisation, un management différent, et une relation client différente.

Au sein du groupement professionnel Mode Grand Ouest, sur quels sujets prioritaires portent les réflexions engagées collectivement autour de l’innovation ?

Le premier sujet qui sera développé au sein de Mode Grand Ouest traitera de l’organisation des entreprises. Beaucoup de nos structures sont de petites entreprises, des PME, qui sont à l’heure actuelle peu ou mal structurées dans le domaine informatique et digital. Elles ont peu d’outils structurants, types logiciels. L’objectif est de sélectionner ou d’aménager un outil de type ERP / MES sur le marché, et de trouver ensuite des systèmes de capteur(s) intelligent(s) afin de s’approprier les données. Le traitement de ces données actualisées en temps réel conduira à rendre nos ateliers plus agiles, En Pays de Loire Nous avons la chance d’avoir un environnement favorable, notamment sur Nantes. Nous allons donc nous appuyer sur ces structures qui évoluent dans des filières différentes, pour nous aider à affiner nos choix. D’autres sujets viendront ensuite, en particulier autour de la cobotique (mise en place de cobots assistant le travailleur en automatisant une partie de ses tâches), En tant que sous-traitants, notre première ressource est l’humain, les conditions de travail évoluent, les opérations sans réelle valeur ajoutée doivent être automatisées, Les salariés d’aujourd’hui sont en recherche d’une autre relation au travail. Il est nécessaire d’ajuster nos moyens de production à notre environnement actuel. Devant les déclarations exponentielles de maladies professionnelles, TMS et autres, il nous faudra être innovants pour trouver des outils qui généreront moins de pénibilité au travail. Ce qui permettra de conserver et valoriser nos salariés donc notre savoir-faire !

Quel est votre sentiment sur l’évolution à venir de l’industrie textile-mode-habillement française, sur les dix prochaines années ?  

Question difficile, tellement de choses à dire !

Après des années de structuration de la filière par type de produits, l’heure est aujourd’hui au décloisonnement, à la mutualisation, au croisement des besoins et des solutions (par exemple entre multimarques et créateurs, start-up et luxe, marques et e-commerce…), pour créer de nouveaux relais de croissance du business français face à une concurrence européenne forte.

Il existait un modèle de commercialisation dans la filière, qui est aujourd’hui complètement remis en question depuis l’arrivée d’Internet et du digital. La production de masse devrait perdurer, il y a toujours un besoin, même si elle n’est pas l’avenir des sous-traitants Français. Par contre, il existe une nouvelle production de masse, qui demande de la personnalisation. Nous voyons arriver sur le marché des nouveaux acteurs, comme Le Slip Français par exemple, qui travaille déjà avec une certaine production de masse étant données les séries proposées, mais avec un positionnement marché différencié -différenciant-  avec le « produire en France » réellement mis en avant. Ce sera sans doute une évolution très marquée dans les prochaines années, car les consommateurs demandent plus de traçabilité, aujourd’hui les clients sont informés !

Autres domaines amenés très certainement à se développer, le domaine du sur-mesure, et une demande d’articles plus collaboratifs, plus tournés sur l’humain en général. Il y a un réel besoin de « re-générer » de l’envie de la part du consommateur. Le client va encore évoluer, les organisations doivent être plus agiles, pour peut-être tendre vers une fabrication à la demande quasiment en temps réel ? Ce qui nécessitera une circulation de l’information adaptée, avec une mise à jour immédiate.  Mais l’accélération du rythme aujourd’hui devient quasi-intenable, la mise en place d’outils devient obligatoire pour tenir la cadence, et il y a un réel intérêt à travailler de manière collective, avec la filière, et en particulier à travers des groupes de type clusters pour réfléchir aux meilleurs moyens de s’adapter.  La filière est réellement à la croisée des chemins, Internet a complètement bouleversé nos univers. Nous sommes dans un monde où tout se fait, tout se juge, tout se compare ! Il y a une exigence de la clientèle particulièrement forte, elle ne passe rien, et ceci aura forcément un impact sur le marketing de nos clients, et donc sur notre avenir. Par exemple, dans le domaine spécifique du luxe, l’incertitude est grande concernant l’évolution des clients, par rapport au digital. Il y également des segments de marché qui sont aujourd’hui un peu « oubliés » des magasins (grandes tailles, seniors…) et qui pourraient être de nouveaux relais de croissance.

Enfin, le domaine des textiles intelligents pourrait encore beaucoup évoluer, même si aujourd’hui ceux-ci sont plutôt développés sur des marchés type EPI et santé. Une nouvelle génération arrive avec des idées que nous n’imaginions pas ! Ainsi, tout ne sera pas tout blanc ou tout noir dans le futur, il y aura une addition de tous ces canaux qui permettront de construire la filière de demain. Notre métier de producteur sera d’accompagner nos clients par rapport à leurs choix, avec une grande réactivité, comme toujours !

Propos recueillis par N.Righi – Juin 2017