Mode in Textile

Quand l’uniforme défile : la nouvelle tendance des institutions

Symbole d’autorité, souvent institutionnelle, marqueur d’appartenance –  l’histoire de l’uniforme, et peut-être plus largement du vêtement d’image, est longue à retracer. Il doit combiner à la fois caractéristiques techniques, mais aussi esthétiques. Si la mode a souvent copié l’armée, la marine et d’autres institutions pour créer des pièces – désormais iconique comme le trench, le caban, le motif camouflage, entre autres – le contraire a rarement été vrai. Or, ces dernières années, une pratique s’est développée au sein des entreprises, publiques comme privées, empruntée au monde de la mode : celle du défilé. 

Ainsi que Vogue le rapporte, le concept du défilé Vetements automne-hiver 2017-2018 baptisé Stereotypes, était le travail sur les codes vestimentaires. Le magazine rapport les propos de Demna Gvasalia, un des directeurs artistique de la marque, “Quand j’étais à l’université, mon sujet favori était la sociologie. Cette saison est la consécration de cette passion : s’inspirer des uniformes sociaux et de comment les gens s’habillent”

La chaîne Youtube PAQ  proposait quant à elle en 2017 un épisode où les 4 jeunes animateurs de l’émission devait transformer et se réapproprier des uniformes de Deliveroo, de DHL, des postes anglaises et de Ikea. “Vêtements, Off-White and Skepta se sont tous amusés avec les uniformes” nous disent les jeunes influenceurs et mannequins qui tiennent l’émission.

Et si PAQ, qui a su s’imposer comme une plateforme d’échange et de discussion autour de la mode masculine, a choisi l’uniforme, elle n’est pas la première à avoir cerner le potentiel de détournement fort de cet objet, passage obligé pour tous les créateurs. Cependant la tendance commence à s’inverser, et les créateurs mettent maintenant  leurs idées au service des entreprises.

En effet, en mars 2019 la Société des Transports intercommunaux de Bruxelles ( STIB) dévoilait par exemple les nouveaux uniformes de ses agents, dessinés par le styliste belge Olivier Strelli lors d’un défilé qui se tenait dans la station de métro Heysel à Bruxell. Olivier Strelli a choisi d’associer trois sortes de bleu, le “bleu marine, le bleu roi et le bleu STIB” dans les différentes pièces des uniformes, tandis que la fabrication a été confiée à la société française Cepovett .

En France, la SNCF avait déjà fait le choix en 2015 d’un défilé numérique pour ses uniformes – via une “frise digitale” réalisée par l’agence Brand Advocate. La frise chronologique interactive propose également  des contenus multimédia comme des vidéos tirées des archives de l’INA ou donnant la parole à des blogueurs et créateurs commentant une tenue de l’histoire des cheminots. Une histoire intrinsèquement liée à l’industrie française, puisque les uniformes des cheminots sont fabriqués par la célèbre marque Armor-Lux. Le Groupe textile habille par ailleurs toujours  plus de 400 000 personnes pour des donneurs d’ordres publics et privés.

Pour la STIB et la SNCF, quels objectifs ? 

D’une part, le recourt au défilé, qu’il soit réel ou digital, permet à l’entreprise de renouveler son image de marque auprès des clients. Le symbole est fort : à travers le corps des agents, c’est l’institution toute entière qui est en mouvement, dans l’histoire et dans le temps. Dans le cas de la SNCF on note aussi une stratégie de mise en valeur du patrimoine de l’entreprise, tout en mettant en avant l’innovation via l’usage du digital. Enfin le changement de tenue représente la possibilité de mettre en avant un savoir-faire français – et a donc des visées patrimoniales et matrimoniales importantes.

On a pu le voir notamment avec un défilé organisé par La Poste le 20 juin dernier qui, pour la 10ème édition du Lab Postal, a imaginé une collection capsule entièrement Made in France, inspirée des cent ans d’archives de l’entreprise française. Ainsi que le rapport FashionUnited, “Le directeur artistique, Jeffrey Duranville a puisé dans le vestiaire des employés de La Poste afin de concevoir des tenues à porter au quotidien. La cape de cocher devient un trench urbain, la veste d’officier revisitée se mixe avec un pantalon de chantier, les sangles de charriot ornent un jean baggy (…) ” Une collection qui n’a finalement rien à envier aux plus grands noms,  Vêtements ou Balenciaga, et dont les quelques images de promotion reprennent entièrement les codes des marques les plus tendances.

Certaines institutions, telles que le Ministère des Armées, ont également fait le choix de jouer le jeu du détournement , le tout documenté en 4 petits épisodes disponibles sur Youtube.

C’est à l’occasion de la Fashion Week “Prêt à Porter” 2016 et de la mise en place du Projet “Culture-Défense 2016 – l’Epopée des uniformes militaires français”, organisé par le Gouverneur militaire de Lyon, qu’a eu lieu un défilé fin 2016. Plusieurs étudiants et étudiantes d’Ecoles de mode basée à Lyon ont ainsi pu retravailler l’uniforme, le détourner, non à destination des militaires, mais dans une visée esthétique assumée.

Derrière le défilé finalement, un seul objectif  : “glamouriser” l’uniforme, intrinsèquement dépersonnalisé, et donc valoriser la personne qui le porte. Et si l’uniforme est avant tout signe d’autorité, il ne faut peut-être pas oublier qu’il est aussi vecteur d’idéaux…voire de fantasmes !

-12/07/19-