Mode in Textile

Marques, quand le chantier devient à la mode

Lorsque les marques se lancent, leur cible est en corrélation avec les produits qu’elles proposent. L’Histoire regorge pourtant d’étonnants réajustements. D’une chaussure de bûcheron devenue le must have des fashionnistas, aux artisans selliers qui produisent aujourd’hui des foulards délicats, en passant par une tenue d’orpailleur que chacun porte maintenant au quotidien, passage en revue de ces cibles inattendues.

Aigle

Lorsque Hiram Hutchinson fonde La compagnie du caoutchouc souple en 1853, il est loin d’imaginer sa place plus de 160 ans après. Il vient alors de racheter le brevet de vulcanisation à Charles Goodyear. Son intention est de fabriquer des chaussures en caoutchouc. Il rebaptise son entreprise en hommage à l’Amérique : L’Aigle. L’entreprise propose essentiellement des produits destinés aux travailleurs des champs et de la mer. En réalité, le public concerné par ces bottes et vêtements résistants aux caprices de la nature est beaucoup plus large. Si Aigle a su évoluer au gré de la mode, ses modèles mythiques continuent d’accompagner les vacanciers. C’est le cas notamment des bottes nautiques bleues à bandes blanches, créées en 1972.

Guy Cotten

Toujours dans l’esprit marin, Guy Cotten crée sa marque en 1964. Il élabore des cirés offrant légèreté et résistance aux amoureux de la mer. En 1966, il ajoute une fermeture à glissière ainsi qu’un double velcro à la Rosebras, veste qui fit sa renommée. Les écoles de voile étant en plein essor, il profite de la prolifération des matelots en herbe pour se développer. La marque est longtemps connue pour ses produits destinés à la pêche et à la navigation, mais elle sait se diversifier. Elle touche ainsi un public plus large. Si large qu’en 2016, elle lance une campagne de crowdfunding pour développer une collection plus urbaine, inspirée de ses classiques.

Abercrombie & Fitch

Aujourd’hui identifiée comme marque casual luxury destinée à une jeune clientèle, il est difficile de s’imaginer l’origine d’Abercrombie & Fitch. Car à la base, en 1892, la marque proposait des articles de randonnée, mais surtout des produits pour la chasse et la pêche. Suite à sa faillite en 1976, Abercrombie & Fitch est reprise plusieurs fois. En vain. Heureusement, Mike Jeffries, décide en 1992 d’opérer un changement radical de positionnement. Terminé les treillis et les fusils, fini les tentes et les cannes à pêche, bonjour le sportswear. Abercrombie & Fitch se lance dans une ligne de vêtements inspirés de la Ivy League. En totale opposition avec ses racines, la marque mise sur une communication sexy et politiquement incorrecte.

Helly Hansen

Qui aurait cru qu’une veste de quart remporterait un tel succès auprès d’une communauté aussi éloignée de la culture de la mer. Le capitaine Helly Hansen Juell aurait en effet été bien étonné de découvrir les badboys américains porter sa marque. En 1877 en Norvège, Helly Hansen et son épouse voulaient protéger les marins de l’eau et du vent avec des vêtements en lin brut imbibés d’huile de lin. Cette innovation textile présentée à l’exposition universelle de Paris en 1878 a valu au capitaine une belle reconnaissance. Si bien qu’il a été l’équipementier officiel des athlètes norvégiens aux JO d’Helsinski en 1952. Il faudra pourtant attendre les années 1990 pour que les célèbres imperméables atteignent les cours des collèges et des lycées. Les jeunes gens imitent alors les rappeurs à la mode, Puff Daddy, Redman ou encore Manau, détournant le vêtement siglé du double H.

Timberland

Là encore, les grandes figures du hip hop ne sont pas étrangères au succès  hors cadre de la marque. Initialement, Timberland équipait les bûcherons. En 1960, le fondateur de la marque, Nathan Swartz, trouve le moyen de protéger les pieds des travailleurs du bois. Il met au point un procédé de moulage par injection rendant les chaussures totalement imperméables. Pour les rendre plus visibles, il les conçoit en cuir jaune, ultra résistant. Ainsi naît la Yellow Boots. Cette bottine de chantier tape dans l’oeil des stylistes italiens, qui l’intègrent aux silhouettes citadines des années 1980. Mais la marque devient véritablement populaire au début des années 1990. Encore une fois, des artistes estampillés street style comme Puff Daddy ou Jay-Z s’en emparent. Aujourd’hui, si Timberland propose des modèles variés allant jusqu’aux escarpins, la Yellow Boots est toujours un incontournable des garde-robe.

Levi’s

Que celui qui n’a jamais porté de Levi’s se dénonce ! Elément de base de tout dressing, homme, femme ou enfant, quel que soit l’âge, le métier ou la classe sociale, le jean signé Levi’s revient de loin. Enfin, des Etats-Unis ! Au départ, en 1853, Levi Strauss, cherche une toile assez souple et résistante pour résister aux conditions de travail des orpailleurs en pleine ruée vers l’or. Vingt ans plus tard, amélioré de rivets brevetés pour fixer les poches, ce pantalon prend le nom de jean. Le vêtement suscite un tel engouement qu’il est décliné en différentes versions. En 1895, on cherche à améliorer le confort des cyclistes. En 1909, le jean laisse la place à une étoffe plus fine et s’essaye à d’autres couleurs pour entrer dans le vestiaire du quotidien. Rapidement, une offre est proposée pour les enfants, puis pour les femmes. Mais ce n’est finalement que dans les années 1930, au moment où les cow boys fascinent des générations d’Américains, que le jean Levi’s se fait une place à la ville.

Hermès

Si Hermès a toujours visé une clientèle plutôt haut de gamme, sa cible première n’était pas du tout la même qu’aujourd’hui. C’est en 1837 que Thierry Hermès crée sa première manufacture. Il y est alors fabriqué des selles et des harnais d’équitation. Fort de son succès, petit à petit, l’artisan diversifie sa production, se tournant peu à peu vers les cavaliers. Le véritable virage est ainsi probablement dûe à un grand sac en cuir, initialement prévu pour le transport de la selle et des bottes. Celui-ci plaît et incite Hermès à s’orienter vers la bagagerie. De fil en aiguille, il appose sa griffe sur une gamme de vêtements homme et femme dans le courant des années 1920. Jusqu’à la création du célèbre Carré Hermès, imaginé par la styliste Lola Prusac en 1929. Depuis Hermès se décline en plus dans différentes gammes allant de la bijouterie à la parfumerie en passant par la décoration et l’horlogerie.

Waiting for my horse #Hermes

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Caterpillar

Quel chantier ! Aujourd’hui 155e entreprise mondiale, Caterpillar s’est fait une place sur le bitume alors que rien ne l’y prédestinait… quoi que. Si on retrouve maintenant les chaussures de la marque aussi bien sur les chantiers que dans les cours de  lycées, ce n’était pas du tout l’objet de départ. En effet, à sa création en 1890, Caterpillar était constituée de deux entreprises : Benjamin Holt et Daniel Best, tous deux fabricants de tracteurs. C’est en 1925, après la franche réussite des tracteurs à chenilles utilisés par l’armée en 1915, que les deux fusionnent et s’imposent comme une référence de l’équipement des chantiers. Dans les années 1990, le styliste américain Stephen Palmer repère une tendance à venir sur les pieds des ouvriers et décide de faire descendre la boots coquée dans les rues. Distribuée sous licence, c’est un succès, qui surfe largement sur la mode grunge de l’époque.

Repetto

Danse ? Repetto ! La marque au ruban rose est LA référence dans le domaine de la danse. Mais aujourd’hui, c’est aussi une référence en matière de mode. En 1947, Rose Repetto ne fait qu’exaucer la demande de son fils, danseur aux pieds meurtris par l’entraînement. Avec la technique du cousu retourné, elle lui confectionne des chaussons plus confortables. Les plus grands se les arrachent. En 1956, en hommage à Brigitte Bardot, ancienne danseuse, elle imagine les ballerines cultes Cendrillon, immortalisées dans le film Et Dieu créa la femme. Elle ouvre ensuite sa première boutique à Paris, et le coup de coeur de Serge Gainsbourg pour ses Zizi blanches l’aident à faire de ses chaussures un must have de l’époque. Malheureusement, lorsque la fondatrice disparaît en 1984, les Repetto tombent en désuétude. La marque est reprise, sans grand changement, jusqu’en 2002 où Jean-Marc Gaucher fait bouger les choses. Il décide en effet de repositionner la marque sur le secteur du luxe. Cette réussite est portée par des collaborations bien senties comme avec le créateur Issey Miyake ou  Yohji Yamamoto. Repetto est à nouveau en plein essor, au point de se lancer avec succès dans le prêt-à-porter en 2012. Aujourd’hui, la marque fait un chiffre d’affaires annuel de près de 60 millions d’euros.

Octobre 2017