Mode in Textile

Interview: Sophie Pineau, Dirigeante de Getex

Avec le retour du froid, ce sont des vêtements que nous apprécions toutes et tous !

Manteaux, parkas, doudounes, ils sont également au cœur du métier du groupe GETEX, l’un des spécialistes français de la fabrication de pièces de dessus à manches haut de gamme, et vêtements imperméables.  La PME est particulièrement reconnue pour deux savoir-faire parfaitement maîtrisés : les vêtements rembourrés en duvet de canard pour le luxe et le haut de gamme, et les vêtements étanches hautes performances destinés à l’habillement technique, militaire, ou pour les professions à risques. Ces derniers sont fabriqués au sein de sa filiale tunisienne Fermyl. Plus étonnant, Getex a depuis quelques années développé une activité de confection de toiles industrielles destinées au marché automobile, un savoir-faire unique développé en interne et très innovant.

A la tête de cette PME industrielle, une entrepreneuse humaniste. En effet, Sophie Pineau a repris l’entreprise familiale en 2011, et ne cesse de travailler depuis à la valorisation des compétences et des savoir-faire, les véritables atout-maîtres de l’entreprise. Elle mise également sur une stratégie d’innovation continue, qu’elle soit managériale, technique, marché, une innovation basée sur la capacité collective à concevoir de nouveaux équipements, et surtout sur une stratégie de développement toujours plus durable et responsable. En 2015, elle saute même le pas et imagine avec ses équipes une première collection en marque propre baptisée So&J, issue du recyclage des restes de tissus.

Reconnue pour son management basé sur une écoute approfondie des besoins de ses collaborateurs, Sophie Pineau transforme depuis plusieurs années, étape par étape, son atelier traditionnel en une organisation bienveillante, apprenante, agile et flexible, toujours plus efficace dans la gestion de ses projets ou l’innovation produits. Elle a accepté de nous présenter les grands axes du développement de Getex.

Alors que le secteur de l’habillement est en difficulté en France, la mode haut de gamme et le luxe se portent quant à eux plutôt bien.  Pourriez-vous revenir sur le profil de Getex, une PME aux activités nécessairement diversifiées pour assurer sa pérennité et sa croissance ?

Nous sommes spécialisés dans la fabrication de vêtements de dessus, des pièces « outerwar » rembourrées. Nos doudounes sont fabriquées à partir de différents matériaux, comme le duvet de canard français, la ouate floconnée, mais nous sommes en constante recherche de matières alternatives que nous pourrions proposer à nos clients …un process tout à fait à part en termes de confection au sein de l’entreprise ! Nos vêtements étanchés présentent quant à eux des coutures imperméabilisées grâce à des bandes d’étanchéité, des techniques appliquées par ailleurs pour l’assemblage de vêtements professionnels.

Nous réalisons aujourd’hui 60 % de notre chiffre d’affaires sur le prêt-à-porter luxe/haut de gamme. Les marchés militaires et administratifs représentent par ailleurs 20% de notre activité, et 10% viennent de notre production de toiles industrielles. Cette dernière activité, initiée en 2012, consiste à fabriquer des intérieurs de toits en toiles pour des véhicules décapotables. Très innovante pour notre profil d’entreprise, elle nous a permis d’améliorer et de progresser sur nos autres activités traditionnelles de fabrication de vêtements.

Dans le domaine du luxe, l’innovation est très présente pour toujours mieux répondre, voire anticiper les besoins de nos clients et être force de proposition. Enfin sur le segment militaire, nous développons produisons des vêtements contre les risques de type NRBC (nucléaire, radiologique, bactériologique et chimique), mais également de grands sous-ensembles .

La reconnaissance des savoir-faire, la valorisation des compétences, le bien-être au travail est au cœur de votre management. Comment, et pourquoi, les différents jalons d’une telle démarche se sont-ils mis en place depuis votre arrivée à la direction de Getex ?

Lorsque j’ai repris la société en 2011, j’ai eu la chance de pouvoir passer deux années aux côtés de mon père pour apprendre le métier et effectuer une passation cohérente lors de son départ en retraite. C’est en 2014 que j’ai vraiment pris conscience, suite à la détection de troubles musculo-squelettiques (TMS), que la première force de l’entreprise était ses salariés, et notamment les mécaniciennes en confection qui représentent 80% de notre effectif. C’est ce qui a véritablement initié la démarche RSE de Getex.

J’ai tout d’abord fait intervenir un kinésithérapeute spécialiste des TMS au sein de l’entreprise, afin d’une part de détecter d’éventuelles pathologies à soigner en réalisant un « audit » sur chaque poste de travail, qu’il soit en atelier ou dans les bureaux, et d’autre part pour former l’ensemble des collaborateurs à la sensibilisation et à la prévention de ces TMS. Suite à son intervention, et depuis 2015, un temps d’échauffement de cinq minutes a été mis en place, en groupe, proposé tous les matins à l’ensemble des salariés. Basé sur le volontariat, près de 96% de l’effectif y participe, ce qui permet également de réunir les différents personnels entre ateliers et bureaux administratifs.

En 2016 a été mis en place un cours de pilates dans l’entreprise, toujours sur la base du volontariat, avec une intervenante extérieure. Une participation symbolique reste à la charge du salarié, mais Getex en assure très majoritairement le financement. Toujours dans le même esprit, en 2018 a été proposée la participation financière de Getex aux abonnements sportifs de l’ensemble des salariés, avec une contribution plus importante aux activités dites douces de « recentrage sur soi » type yoga ou sophrologie. Car la forme physique n’est rien sans une bonne forme mentale, et il est primordial que chacun(e ) d’entre nous intègre la nécessité de s’écouter et d’agir pour son bien-être.

Dernière étape plus récente, nous avons intégré en 2019 le groupe d’entreprises pilotes au sein du projet de recherche collaborative Innofabmod, coordonné par IFTH, avec pour principal objectif de tester et d’intégrer le « lean management » dans le quotidien de Getex, dans une logique d’amélioration continue. Cela a très clairement révolutionné non seulement l’organisation de l’entreprise, mais au-delà, notre façon de communiquer ! Car force était de constater qu’auparavant certaines équipes ne se voyaient quasiment jamais au quotidien. Grâce au lean management, des relais inter services ont été mis en place, et l’impact est significatif : la communication est simplifiée, les éventuelles tensions apaisées, les relations sont fluidifiées.

Une des actions très concrète est la mise en place de tableaux d’affichage autour desquels se réunissent les salariés lors des réunions. Durant le confinement, dans un climat plutôt anxiogène et alors que nous devions continuer à travailler pour honorer les commandes et fabriquer des masques, nous les avons détournés et utilisés pour afficher au quotidien des nouvelles positives extérieures à l’entreprise : photos des petits-enfants, partage des nouvelles d’autres ateliers masques, etc. C’est un élément que nous avons souhaité garder depuis le déconfinement, tous les quinze jours, qui permet aussi de partager les informations sur les projets, les clients, afin que tout le monde ait le même niveau d’information, ce qui est très apprécié des salariés.

La méditation a également trouvé une vraie utilité dans l’entreprise, notamment pour des collaboratrices œuvrant sur des projets complexes, comme des imprimés placés par exemple, des projets fatiguant les yeux et le mental entre assemblage et positionnement des motifs. Cette nouvelle étape a été franchie durant le confinement afin de mieux gérer les ressentis, comme la peur, le stress car si nous nous avions de l’activité entre les commandes à honorer et les nouveaux masques à fabriquer, arriver sur son lieu de travail via des rues complètement désertes, son attestation en poche pour être en règle lors des contrôles, s’est révélé très anxiogène et déstabilisant pour certains.

L’objectif est à terme de pouvoir s’inspirer en tout ou partie de nos bonnes pratiques pour les transférer dans notre usine tunisienne, en s’adaptant si nécessaire et en prenant en compte les différences culturelles et managériales.

Comment pourriez-vous définir l’innovation métier au sein de Getex ?

L’innovation métier fait partie de l’ADN de Getex. Mon père a décidé du premier grand virage stratégique de l’entreprise lorsqu’il a décidé en 1995 de spécialiser l’activité sur les grosses pièces à manches étanchées et les doudounes, et de ne plus fabriquer de pantalons et autres vêtements. A l’époque c’était un vrai pari innovant puisqu’il n’y existait pas d’autre atelier en France sur ce type d’activité, et cela a nécessité des investissements dans certaines machines spécifiques.

Fort heureusement, la conception est un autre pilier de l’innovation chez Getex, et nous imaginons les machines qui nous permettront de fabriquer des produits spécifiques, comme cela a été le cas avec les doudounes rembourrées de plumes de canard. Ce poste de fabrication a été conçu et fabriqué chez nous. Il va d’ailleurs être modernisé car nous faisons évoluer nos machines selon les demandes de nos clients.

Cette capacité est particulièrement visible au sein de l’atelier sur l’activité toiles industrielles, avec depuis 2012 une ligne de production de toits en toiles pour modèles décapotables telles que les DS3, l’Opel Adam, et très prochainement un modèle pour Jaguar Land Rover. Ce projet innovant est typiquement le résultat d’un échange avec un client, équipementier automobile de rang 1, qui souhaitait réaliser des tests d’assemblage entre plastique et tissu. Nous ne savions pas faire, mais nous avons essayé ! Si cela ne s’est pas fait facilement, après de multiples essais lancés par mon père et trois années de développement de vrais prototypes sont sortis de l’atelier. C’est à ce moment que le client nous a annoncé que nous avions le marché, sous réserve de pouvoir livrer entre 200 et 400 pièces par semaine dès juillet 2012. Nous n’avions alors ni les machines, ni le bâtiment, ni les opérateurs ! En quatre mois, grâce à un de nos mécaniciens extrêmement doué, nous avons conçu entièrement cette nouvelle chaîne de fabrication, l’avons fait fabriquer à des sous-traitants, et avons en parallèle lancé les recrutements nécessaires.

Cette nouvelle façon de fabriquer nous a évidemment donné de nouvelles idées, et a été dupliquée sur l’activité luxe.  Mais nous restons toujours vigilants sur le fait de pouvoir, dès la création du prototype, réaliser ensuite en série le produit avec un prix de production acceptable. Nous sommes des industriels avant tout. C’est en outre cette capacité de conception que nous apportons au sein d’Innofabmod, en particulier dans le groupe « cobotique » au sein duquel nous travaillons. Si c’est un sujet sur lequel nous pouvons à priori être autonome, il est très enrichissant de pouvoir échanger avec d’autres entreprises, sur les besoins, les contraintes, les technologies, également avec les experts d’IFTH, et pouvoir contribuer finalement à terme à l’évolution de la filière française.

Cette agilité ou capacité d’adaptation vous a-t-elle permis de mieux faire face à la crise sanitaire ?

En termes de techniques, fabriquer un masque a été très facile pour nous. Par contre, la véritable innovation générée par la situation de crise atypique à laquelle nous avons dû répondre est la collaboration née entre les marques, les donneurs d’ordres, les fabricants…quel que soit notre positionnement, nous avons tous été mis sur un pied d’égalité, et nous avons su travailler ensemble main dans la main pour répondre aux besoins en très peu de temps.

Si nous estimions l’impact à -38% à fin juin, nous allons terminer cette année 2020 avec une baisse de chiffres d’affaires comprise entre -18 et -20%, ce qui est un bon résultat dans ce contexte de crise. Nous avons finalement été beaucoup plus impactés sur l’activité en Tunisie qu’en France.

Le Made in France est mis en exergue depuis quelques années, et semble plus que renforcé par la crise. Vous-même avez lancé votre marque propre de vêtements de dessus durables, confectionnés en Tunisie. Dans cette mouvance, une capsule « made in France » est-elle à l’étude dans les semaines à venir ?

Non, il n’y a pas de projet de fabrication de produits So&J dans notre atelier français. Notre marque, lancée en 2014, a en effet pour raison d’être le développement durable. C’est pourquoi elle est exclusivement basée sur la réutilisation de tissus non utilisés et de chutes de production qui nous appartiennent. Mais je souhaite également qu’elle soit représentative de notre démarche RSE, et donc qu’elle soit accessible à l’ensemble de mes salarié(e)s !

Or la réalité du marché du travail français est telle qu’aujourd’hui, si nous fabriquions ces vêtements en France, mes collaborateurs ne pourraient pas les acheter. Il n’est pas ici question de remettre en cause notre système national, qui a prouvé durant la crise qu’il était solide, et l’Etat a réellement mis en place des mesures exceptionnelles pour aider nos entreprises et in fine nos salariés. Je gère pour ma part une usine en France, et une en Tunisie, qui font face aux mêmes problématiques de crise, et force est de constater que l’Etat français, avec ses moyens, nous a donné un maximum d’outils pour absorber la sous-activité etc. Nous avons la chance d’avoir des clients qui choisissent de faire fabriquer en France, mais pour cela il est nécessaire d’avoir l’image de marque forte permettant de vendre au prix forcément plus élevé du made in France.

Notre marque propre est quant à elle un projet d’entreprise, basé sur deux critères importants pour nous : la réutilisation de matières, et le prix acceptable pour le plus grand nombre. La Tunisie est donc une bonne alternative à la fabrication en Chine. Cela nous permet d’assurer une bonne qualité des vêtements, et d’être transparents sur la traçabilité complète de nos produits. C’est également un projet collectif puisque nous créons les modèles de façon collaborative, avec l’envie d’impliquer au maximum nos salariés et continuer à développer la marque, à la faire connaître. Nos séries limitées sont également un bon moyen de montrer aux clients ce que nous sommes capables de réaliser.

Le développement durable fait partie de vos engagements stratégiques, quels sont les prochaines priorités de la démarche RSE de Getex ?  

Prochaine grande étape, la construction d’un bâtiment neuf orienté RSE !  C’est un projet né suite à un audit « marque employeur » réalisé il y a maintenant trois ans. Œuvrant dans une activité de sous-traitance industrielle dite à bas salaires, il nous est important de pouvoir agir sur l’environnement de travail de nos salariés. A nous d’agir pour  les intéresser , leur donner des conditions et un cadre de travail les plus agréables possible.  Notre bâtiment actuel étant à renouveler entièrement pour le mettre aux normes, notamment énergétiques, le projet de bâtiment neuf s’est finalement imposé et les travaux devraient débuter dès janvier 2021.

Côté matières, nous militons pour le rembourrage écologique de nos doudounes. Or il faut savoir que le plus écologique reste le duvet de canard français, que nous récupérons pour notre part en circuit court, dans des élevages de canards élevés pour leur viande dans notre département, la Vendée. Nous valorisons ainsi un déchet de cette filière. Certains de nos clients ne souhaitent pas l’utiliser car d’origine animale, mais si depuis trois ans nous achetons de la ouate floconnée pour 80% de nos rembourrages, la tendance revient ces derniers temps au duvet de canard.

Nos clients restent très en veille sur les alternatives possibles à ces deux matières de rembourrage principalement utilisées, et tout notre challenge, puisque nous sommes reconnus pour notre savoir-faire dans ce domaine, est de rester à la pointe de l’innovation dans nos propositions. Nous sommes donc constamment en recherche et en test de de nouvelles matières écologiques, durables, recyclées, que ce soit de la laine mérinos, de l’alpaga, ou bien encore de la fleur séchée…ce afin de construire des prototypes industrialisables répondant aux besoins de performance et d’esthétique de nos clients.

Cela a été mis en exergue dans le Contrat stratégique de filière Mode et Luxe, la formation occupe une place centrale dans la stratégie nationale d’accompagnement du secteur textile habillement aujourd’hui.  Quelles sont vos principales actions dans ce domaine ?

Nous avons une formatrice interne pour l’activité confection, intégrée au sein de Getex depuis cinq ans maintenant, qui accompagne tous les nouveaux entrants et les suit tout au long de leur formation dans l’entreprise. C’est notamment le cas des nombreux contrats de professionnalisation que nous accueillons grâce au dispositif Prodiat. Plus récemment, le projet Innofabmod cité précédemment nous a également apporté une composante formation, puisque celle-ci fait partie d’une stratégie globale de lean management.

Ces derniers mois, nous avons pu bénéficier, grâce à l’OPCOII du nouveau dispositif Diagnostic GPEC Covid-19, un accompagnement personnalisé permettant d’intégrer les impacts de la crise sanitaire dans notre fonctionnement, et de se former pour répondre à de nouveaux besoins. Depuis septembre dernier, de nouvelles formations techniques ont ainsi pu être suivies par certains de nos salariés, comme par exemple une formation Lectra Mosaic afin d’optimiser les compétences de nos équipes sur l’activité de patronage et de coupe des tissus à motifs, et nous avons même investi dans une caméra pour notre machine de découpe. Ceci s’inscrit dans une logique de marché puisque depuis plusieurs mois maintenant, la quasi-totalité des tissus que nous traitons sont des tissus imprimés.

Le Diagnostic GPEC Covid-19 a également permis de dialoguer avec chacun des salariés de Getex, grâce à des entretiens individuels menés par un consultant extérieur, avec pour objectif d’écouter et d’entendre leurs ressentis par rapport à la période de crise. Cet audit se révèle extrêmement intéressant, et me permettra de construire un plan d’action à trois ans en phase avec ses conclusions dans le domaine des ressources humaines. Nous cherchons à faire toujours mieux et à nous améliorer, dans chaque domaine !

Propos recueillis par N. Righi – Janvier 2021