Mode in Textile

Interview : Rosabelle Forzy, PDG de la société Laulhère

Symbole par excellence du style français, accessoire intemporel, le béret fait tourner toutes les têtes. Dans la rue ou sur les podiums, dans les rangs militaires ou sur les bancs d’école, ce petit couvre-chef joue dans la cour des grands et suscite une attention toute particulière.

Fabricant de bérets depuis 1840, la société Laulhère doit ainsi répondre à une demande de plus en plus forte. Aux commandes de la société depuis 2012, Rosabelle Forzy met tout en œuvre pour sublimer ce produit d’art 100% made in France, fabriqué à partir de matières nobles comme la laine vierge mérinos, le cachemire ou encore le cuir. Passionnée de théâtre, elle a choisi de mettre en scène ce produit traditionnel sur le marché international de la mode, notamment avec la nouvelle boutique parisienne de la marque, Rue du Faubourg Saint-Honoré, tout en ayant toujours à cœur de mettre en valeur les collaborateurs, les savoir-faire, l’économie locale, et la traçabilité du béret français. Elle revient pour nous sur l’importance de l’innovation et de la transmission des savoirs comme facteurs-clé de développement de ce produit emblématique.

Entre intemporalité du béret, savoir-faire historique et respect des traditions, vous avez réussi à redonner une vraie modernité à la marque Laulhère. Sous quelles formes l’innovation a-t-elle pris corps dans la stratégie de développement de l’entreprise ?

Nous avons commencé par retravailler les codes du béret en lui-même, en cherchant à savoir quels étaient ses codes essentiels et ensuite ce que l’on pouvait détourner tout en gardant une véritable identité. L’innovation s’est appuyée sur la recherche d’autres matières, d’autres fils, des mélanges de teintures afin d’obtenir des effets particuliers, entre autres. Nous sommes également allés chercher des techniques textiles qui n’étaient pas propre à la fabrication du béret mais qui pouvait lui donner une modernité, et quelque chose qui de visu soit différent de ce que l’on voit habituellement, c’est-à-dire le béret noir classique, traditionnel.

Nos fournisseurs historiques nous ont transmis des idées ; par exemple, nous avons simplement demandé à notre filateur ce qui se vendait bien en dehors du béret et avons alors testé d’autres fils plus complexes, travaillés, recyclés, ou encore du Lurex. Un béret en cachemire a ainsi été développé, qui donne véritablement au produit un toucher ultra doux tout en gardant toutes les caractéristiques techniques.

Nous suivons également tout ce qu’il se passe sur les salons type Première Vision, et dans l’univers de la mode de manière générale. Dès qu’une innovation nous intéresse, nous testons !

Au sein de l’entreprise, nous faisons attention à valoriser les idées de chacun, que l’on travaille aux achats, à la teinture, à la confection, chacun garde à l’esprit qu’il doit être à l’écoute, inventif, bref en perpétuel renouvellement autour de son métier. Ceci est une nouvelle culture qu’il a fallu implémenter et promouvoir, encore aujourd’hui, dans cette entreprise à l’historique fort et aux savoir-faire bien ancrés dans les traditions. Côté création, notre directrice artistique travaille à mes côtés en interne, avec notre responsable des nouveaux produits, et nous travaillons ponctuellement avec d’autres consultants stylistes extérieurs.

La fabrication d’un béret est très technique, que ce soit pour une application mode ou pour un usage plus technique comme pour l’armée. Comment relevez-vous le défi de préserver les savoirs et savoir-faire de l’entreprise ?

Parmi nos collaborateurs et collaboratrices, nombre d’entre eux ont plus de quarante ans de maison : ce sont leurs savoirs et leurs savoir-faire qui font la richesse de Laulhère. Or nous faisons face à un problème rencontré dans plusieurs entreprises textiles françaises, ce sont les futurs départs à la retraite de ces experts et la nécessité de former la relève.

De nombreux binômes sont mis en place au sein de la société, en général sur deux ans a minima sur les postes névralgiques. Pour exemple, il a fallu anticiper le départ à la retraite de notre responsable de confection, un métier-clé chez nous. Avec ce système de binôme, la passation s’est faite sans problème en janvier dernier. Actuellement nous anticipons le départ de notre responsable de teinture d’ici deux ans, et nous recrutons quelqu’un dès aujourd’hui pour qu’il puisse avoir tout le temps d’être bien formé à ce métier spécifique, la teinture étant cruciale également pour nous.

Ce type de passation est très efficace puisque nous prenons le temps de former directement les collaborateurs. Tout se complique lorsque nous souhaitons recruter des personnes avec des compétences bien ciblées, comme des piqueuses ou des brodeuses par exemple.  D’autant plus que notre région est un peu désertée concernant le marché de l’emploi, et qu’il reste complexe de faire la promotion du territoire auprès de ces profils experts.

Vous êtes certifiés Origine France Garantie, une telle labellisation s’est-elle imposée pour mieux vendre le Made in France ?

Il faut se rendre à l’évidence, de nombreuses entreprises profitent un peu du Made in France sans vraiment répondre à certaines exigences, voire trichent complètement en communiquant sur de fausses allégations.  Nous avons donc investigué afin de trouver un système représentatif du savoir-faire français, et le label Origine France Garantie s’avère être un très bon début. Nous souhaitions même aller encore plus loin, mais la démarche OFG est bonne car elle permet déjà d’avoir une reconnaissance des efforts fournis notamment en termes de traçabilité du produit. Nous sommes vigilants sur les matières, et utilisons de la laine française, du cuir français… cela est important pour nous.

A l’export, il manque encore un effort de communication sur les labellisations autour du Made in France. S’appuyer sur un label demande encore de prendre le temps d’expliquer au client ce qu’il y a réellement derrière l’étiquette.

Notre développement export s’appuie donc aujourd’hui surtout sur une excellente équipe de commerciaux et une bonne communication, à travers des relations presse et les réseaux sociaux qui sont très efficaces ! C’est cet ensemble qui nous permet d’être présents aux Etats-Unis ou dans la garde-robe de plusieurs stars internationales.

La personnalisation semble être une vraie tendance de fond, une demande d’une nouvelle génération de consommateur en quête d’expériences d’achat, est-ce un axe potentiel de développement pour la marque ?

La personnalisation est déjà offerte en boutique, en particulier sur les produits en cuir, avec un marquage à chaud à la feuille d’or, et parfois à la demande de certaines entreprises clientes selon les volumes. Dans l’immédiat, il n’est pas certain que nous allions beaucoup plus loin : si le sujet reste important pour l’expérience client en boutique, il n’est pas à l’ordre du jour sur l’e-shop car cela reste complexe à mettre en œuvre.  Mais la réflexion reste ouverte sur la thématique.

On parle aujourd’hui de transformation numérique et d’industrie 4.0 au sein de l’écosystème mode textile habillement ; quelle serait, pour vous, votre usine du futur idéale ?

J’imagine avant tout une usine avec des ateliers qui soient agréables à utiliser et à vivre pour les salariés. Nous avons d’ailleurs déjà eu l’occasion d’effectuer des diagnostics en ce sens avec l’IFTH, afin d’optimiser des postes de travail par exemple.  L’automatisation des tâches répétitives et pénibles à effectuer est, dès lors, essentielle à envisager.

Ce serait donc une usine optimisée pour fabriquer un produit beau, à un prix abordable et juste, un produit d’art, qui permet de valoriser les savoir-faire de chacun. Tout doit y être mis en œuvre de telle sorte que les collaborateurs soient heureux de venir travailler, car ce sont eux la vraie valeur de l’entreprise. Le sens du métier, la transmission, et les questions sociales sont au cœur de l’usine du futur.

Selon vous, quelles évolutions majeures pourraient marquer la filière mode & textile durant les prochaines années ?

Comme dans l’usine du futur, l’humain et l’outil ne sont pas antinomiques, et si l’on développe les outils, il faudra aussi valoriser la valeur ajoutée de l’humain.

J’imagine surtout une confirmation d’une autre voie de consommation de produits de mode, avec moins de produits mais plus durables, avec une traçabilité essentielle et accrue, peut-être une garantie à vie, ou a minima une insertion garantie dans une économie circulaire. Je souhaite pour ma part que s’ancre dans le quotidien le développement d’une slow fashion qui permettrait de transmettre réellement des valeurs plus durables.

Quel est votre dernier coup de cœur textile & mode ?

 Je suis admirative du changement effectué ces dernières années chez Gucci, sous l’impulsion d’un directeur artistique qui a mis en place une véritable stratégie de réinvention de la marque, apportant de la modernité, de la fraîcheur, une nouvelle part de rêve, et qui propose de nouveaux codes dans le monde du luxe.

A travers cette nouvelle générosité, parfois presque excessive, je trouve ce modèle très inspirant.

Propos recueillis par N.Righi –  Juin 2018