Mode in Textile

Interview: Rolland Arnaud, Dirigeant de Fontanille

Quel lien peut-il exister entre un bas de contention, un soutien-gorge, une genouillère ou encore le corail marin ?

Créée il y a plus de 150 ans, Fontanille est spécialisée dans la fabrication de dentelles enduites ou non de silicone liquide destinées principalement à la lingerie, la mode, mais également des applications techniques, comme le textile médical. Si elle a connu des périodes difficiles, jusqu’à être placée en liquidation judiciaire, en 2012 l’entreprise renaît sous forme de Société Coopérative et Participative (SCOP), sous l’impulsion d’une quarantaine de salariés bien décidés à faire vivre cette belle entreprise.

Depuis 2012, son dirigeant Rolland Arnaud a investi, dans les talents, les compétences, mais aussi dans les matériels et les projets toujours plus innovants. Le projet d’entreprise qu’il met en œuvre pour Fontanille s’appuie autant sur la qualité et l’excellence des produits, l’innovation, la satisfaction des clients, que le bien-être et de la fierté des collaborateurs.

Un pari un peu fou mais un pari gagné, puisque la Scop Fontanille réalise aujourd’hui plus de trois millions d’euros de chiffre d’affaire. Rolland Arnaud nous parle, avec beaucoup de bienveillance et de respect, d’intelligence collective et de cette SCOP fière de fabriquer ses produits en France.

Le premier marché historique de la société est la lingerie.  Comment pourriez-vous définir l’innovation chez Fontanille après la diversification vers des marchés applicatifs plus techniques comme le médical ?

Avec son siècle et demi d’existence, Fontanille a su valoriser son expérience du marché de la lingerie, une expérience que l’entreprise a su faire perdurer à travers les périodes de crises traversées par le secteur. Et au-delà de la richesse des savoirs et savoir-faire destinés à la lingerie, c’est notre grande capacité d’adaptation et une forte culture du changement qui nous permettent de rebondir, puisque dans la mode, les cycles se raccourcissent de plus en plus.

Nos compétences et notre adaptabilité permanente nous ont permis de proposer des solutions pour les applications plus techniques, en y apportant nos savoir-faire sur la transparence ou la douceur dans les bas de contention et plus largement le textile médical par exemple.

L’ADN de Fontanille intègre cette réactivité permanente, et une capacité à être très proche de ses clients. C’est pourquoi nous avons choisi de ne pas « figer » la recherche et développement autour d’un service dédié. L’innovation naît de l’intelligence collective de la SCOP, à chaque nouveau projet est dédiée une nouvelle équipe, tous les talents de l’entreprise peuvent être sollicités. Cela permet de motiver les collaborateurs, de les valoriser et de les faire monter en compétences, de faire en sorte que chacun d’entre nous puisse parler avec les clients.

Le Made in France est-il un atout aujourd’hui auprès de vos clients, en France et à l’international ?

En 2012, nous transformions radicalement Fontanille pour la faire revivre sous forme de SCOP, alors même que Mr Arnaud Montebourg œuvrait pour défendre de nouveau le Made in France. Le marché textile-habillement a évolué depuis quelques années, et l’on ne peut que constater qu’il y existe une réelle recherche de fabricants français. Elle vient d’une demande des consommateurs qui recherchent de plus en plus la qualité du produit, la traçabilité, et qui acceptent de payer le prix qui nous permette de vivre de notre activité.

En cela il ne faut pas craindre la concurrence, nos atouts français sont bien réels sur le marché national mais aussi à l’international, puisque nous réalisons un tiers de notre chiffre d’affaires à l’export. Nous avons une place légitime mais il faut faire mieux connaître notre activité, nos compétences. Il y a une vraie stratégie à mettre en place, sur les salons en particulier, non seulement dans les entreprises mais aussi sur le plan national. Prenons l’exemple de l’Allemagne qui s’est armée pour conquérir l’export, et cela lui réussit. Encore une fois, cette concurrence ne doit pas nous alarmer, mais au contraire nous motiver.

La formation occupe une place centrale dans la stratégie nationale d’accompagnement du secteur textile habillement aujourd’hui.  Si l’on parle souvent de maîtrise et de transmissions des savoir-faire et des savoirs, il semble aussi important de favoriser la polyvalence. Quelles sont vos actions et vos priorités dans ce domaine ?

Lors de la création de la SCOP, le premier constat établi dans ce domaine a justement été le manque de formation des collaborateurs. Mon premier projet a donc été la mise en place d’un cycle de 10 jours minimum de formation pour l’ensemble de l’entreprise. Il était nécessaire que chacun d’entre nous retrouve de la fierté au travail.  Être capable d’expliquer son activité à un client qui visite l’usine, être autonome, savoir s’exprimer, tout cela redonne une réelle capacité à échanger, et donc in fine à innover.

Près de 2,5 % du chiffre d’affaires sont investis chaque année dans la formation et la préservation des savoirs et des savoir-faire. Comme la plupart des industriels du textile français, nous devons faire faire face au vieillissement des équipes, et le rôle de chaque dirigeant est d’anticiper les départs à la retraite. Il est nécessaire d’anticiper ces changements deux à trois ans avant qu’ils n’arrivent, car nous n’avons plus d’écoles qui puissent nous amener directement de jeunes collaborateurs. A nous de mettre en place en interne des programmes spécifiques de préservation et de transmissions de nos compétences.

Surtout, si l’on apprend à les écouter, les talents ne demandent qu’à être révélés et à s’épanouir au travail. Et chacun d’entre nous a un talent, c’est en les utilisant que nous visons l’excellence.

L’usine du futur idéale serait-elle avant tout une usine solidaire, collaborative et coopérative sur le modèle de l’abeille et de la ruche ?

Oui, c’est un modèle qui sans aucun doute serait pérenne pour l’industrie de demain. Tout ce qui est réalisé ensemble, en collaboration avec les clients, avec les équipes, autour de vrais projets, même si cela demande des investissements humains et matériels, tout cela donne une vision commune à moyen voire à long terme pour le développement de l’entreprise.

Nous ne sommes pas de simples fabricants de produits, nous sommes avant tout des créateurs d’émotions. Pour générer de l’émotion, il faut nécessairement être à l’écoute de l’autre, être réactif, curieux.

Innover c’est oser sortir des sentiers battus, pourriez-vous nous parler de ce surprenant projet baptisé Corail/Artefact ?

Voilà typiquement un projet né d’un échange, d’une rencontre, ou plutôt de plusieurs rencontres. Nous collaborons chaque année avec la Ville de Clermont-Ferrand dans le cadre du Festival International des Textiles Extraordinaires (FITE). Une discussion l’année dernière avec Christine Athenor , qui gère le FITE, nous a convaincu d’accueillir un artiste en résidence. C’est donc Jérémie Gobé, artiste plasticien, qui nous a rejoint chez Fontanille. Il a découvert lors de la visite de l’entreprise et des échanges avec les collaborateurs le « point d’esprit », un point de dentelle particulier, lui faisant immédiatement penser aux microorganismes vivants sur les coraux.

Avec l’aide d’Isabelle Domart-Coulon, chercheuse en biologie marine pour lutter contre le blanchiment et la mort des coraux, il a alors créé un ruban de dentelle spécifique et souple. Les tests ont prouvé que le taux de régénération des cellules est très satisfaisant sur cette dentelle qui agit comme un véritable pansement sur le corail.

Nous espérons maintenant que ce projet sera pérennisé dans le temps pour mieux défendre les coraux et le territoire maritime, sachant que le protocole est très lourd en termes de réglementation, de financement, etc. Par ailleurs, de nouvelles idées sont à l’étude, avec de la dentelle faite à partir de matières biosourcées autres que le coton, pourquoi pas sur le territoire avec les filières lin et chanvre françaises. Et nous espérons également explorer les potentialités de l’impression 3D grâce à un projet mené avec l’Université d’Auvergne…

Ce projet est une véritable aventure humaine. C’est aussi cela Fontanille, oser, saisir les opportunités, ne jamais avoir de regrets, échanger, être fier de ce que l’on fait au quotidien.

Le développement durable fait partie des engagements stratégiques du secteur, quels sont les projets ou actions déjà mis en œuvre dans ce domaine chez Fontanille ?

Chacun d’entre nous à un rôle à jouer si l’on veut agir à long terme pour s’assurer un avenir plus durable. Plusieurs actions sont mises en œuvre chez Fontanille, des investissements de près de 350 000 euros sont prévus. Deux tiers de ce budget seront par exemple alloués à l’installation d’un générateur de vapeur, ce qui nous permettra d’économiser 56% de gaz, d’économiser de l’énergie, et de fortement diminuer nos émissions de CO². C’est une installation qui a un intérêt environnemental et économique, et qui nous permettra d’améliorer notre compétitivité à long terme.

La responsabilité sociale est également ancrée dans les gènes de la SCOP, et nous œuvrons pour l’inclusion de personnes en situation de handicap. Si quatre personnes étaient volontaires pour nous rejoindre au départ, au cœur des ateliers, ce sont maintenant une dizaine de collaborateurs en situation de handicap qui viennent nous rejoindre chaque semaine. La SCOP est à l’image de notre société aux multiples visages, tout le monde à sa place. Ce n’est pas toujours simple, il faut vraiment le vouloir, mais cela fait notre richesse. Nous avons d’ailleurs changé notre emblème, qui aujourd’hui est une abeille, et avons installé quatre ruches. Le miel récolté de ces ruches est distribué à nos clients, ce qui a une autre valeur qu’un stylo en plastique fabriqué à l’autre bout du monde. Cela a un vrai sens, et nous ressemble.

En tant qu’industriel du textile habillement, quel regard portez-vous sur le métier et sur son évolution ?

Je constate l’importance grandissante de travailler ensemble. C’est comme cela qu’il nous est possible aujourd’hui d’aller plus loin, d’être plus fort. Au sein de la filière nous avons appris à ne plus avoir peur de se connaître, à être complémentaire pour satisfaire les clients, à être partenaires plutôt que concurrents.

Nous avons de réels atouts en termes de réactivité, de capacité de personnalisation des produits, de traçabilité, grâce aussi à la normalisation qui, si elle est parfois contraignante, nous protège aussi souvent.

Chacun peut grandir en France, tout le monde a sa place, et cela grâce à notre intelligence collective.

Propos recueillis par N. Righi – Juin 2019