Mode in Textile

Interview : Maxime BONTE, dirigeant de COUSIN TRESTEC / COUSIN COMPOSITES

Qu’il s’agisse d’un équipement de sécurité pour le sport, les travaux en hauteur, la manutention ou diverses autres applications industrielles ou militaires, choisir une corde de qualité est essentiel et doit s’appuyer sur des besoins techniques spécifiques. Toujours innovant depuis 170 ans, la société française COUSIN TRESTEC fabrique des cordages et de tresses textiles grâce à son expertise dans la transformation des fibres synthétiques, la connaissance des fibres techniques, et la maîtrise des traitements fonctionnels sur fils et tresses.

Spécialiste du tressage, COUSIN TRESTEC conçoit et fabrique des cordes d’alpinisme, de yachting, de travaux en hauteur et élagage, de parachutes, kites et parapentes ainsi que pour diverses applications industrielles.. COUSIN COMPOSITES spécialiste de la production et de l’assemblage de fibres hautes performances, conçoit et produit des composants pour la câblerie optique (renforts « FRP »), des cordages pour raquettes de tennis et de squash, des fils thermoplastiques et fils composites pour diverses applications (transport, agriculture, industrie…) . COUSIN TRESTEC et COUSIN COMPOSITES sont filiales de DALLE et ASSOCIES qui assure notamment toutes les opérations de « back office » des entités du groupe.

A l’aune de ces 170 ans d’existence, le caractère familial des entreprises a sans aucun doute permis d’assurer une certaine stabilité de l’activité, mue par une volonté de reconstruire de façon systématique après chaque crise, chaque difficulté à travers le temps. Aujourd’hui, dans un contexte de retour à la croissance en 2021, grâce à près de 150 collaborateurs engagés au quotidien, COUSIN TRESTEC et COUSIN COMPOSITES actionnent les leviers de la compétitivité, de la responsabilité sociale et environnementale, et créent de nouveau de l’emploi local en renforçant leurs équipes de production. Exigence, rigueur, qualité, mais également innovation et créativité font partie intégrante de l’ADN de ces entreprises, codirigées aujourd’hui par Valery Dalle et Maxime Bonte. Ce dernier a accepté de nous en dévoiler un peu plus sur le succès de ces spécialistes français du textile technique qu’il souhaite mener vers l’industrie du futur.

L’innovation est un marqueur les plus forts des entreprises COUSIN. Comment l’articulez-vous au quotidien dans l’entreprise ?  

En effet, c’est parce que nous sommes innovants que nous existons encore aujourd’hui . Nous nous efforçons, grâce au travail conjoint des équipes commerciales  et des équipes de recherche et développement, de capter les demandes du marché et d’y répondre. Et si l’innovation concerne bien évidemment nos produits, l’innovation process est tout aussi importante chez nous.  Afin de rester compétitif et de garder une longueur d’avance, nous devons investir de l’ordre de 5% du chiffre d’affaires en R&D chaque année. Huit ingénieurs et techniciens œuvrent spécifiquement pour l’innovation chez Cousin Trestec et Cousin Composites.

Nous avons actuellement cinq projets collaboratifs de R&D en cours avec des centres de recherche et/ou des clients. Nous sommes d’ailleurs en R&D partagée avec certains clients afin de fabriquer leurs produits en co-conception. Pour exemple, Cousin Composites est partenaire d’un projet dans le domaine de l’aéronautique, en agissant comme fournisseurs de fils spéciaux pour la construction des avions. Avec la récente crise sanitaire, nos projets de recherche ont continué à avancer, à un rythme ralenti, mais surtout à cause des conditions de travail et d’échanges qui ont été chamboulées plus que par les conditions économiques elles-mêmes.

Les passerelles sont régulières entre les entreprises du groupe et entre les projets. Nous avons des experts spécialisés sur certaines technologies. Nos spécialistes du tressage chez Trestec peuvent ainsi être ponctuellement mobilisés sur des projets chez Composites. Ces complémentarités sont évidemment intéressantes pour le Groupe, mais également pour nos collaborateurs qui sont confrontés à une grande variété de thématiques à traiter.

Côté propriété intellectuelle, nous possédons quelques brevets, mais nous ne focalisons pas sur cette méthode de protection. En effet, passer par le dépôt de brevet oblige finalement à dévoiler in fine vos avancées technologiques. Nous ne le faisons donc qu’avec parcimonie, et évitons si possible la diffusion de nos secrets.

Afin d’illustrer cette capacité d’innovation, pourriez-vous nous présenter un récent cas d’innovation produit ?

Notre nouveau câble textile à usage forestier baptisé Sequorope a été officiellement lancé l’année dernière. Sa conception a quant à elle démarré en 2019. Notre chef de produit élagage forestier avait alors choisi de passer plusieurs jours en immersion auprès d’une équipe spécialisée dans les travaux forestiers, afin de mieux comprendre les usages, leurs besoins, et décrire le contexte dans lequel sont utilisés les câbles acier généralement utilisés dans ce domaine.

L’objectif était d’investiguer autant que possible pour, à terme, imposer un câble textile intéressant par ses nombreux avantages, comme sa légèreté et sa moindre dangerosité par rapport à l’acier. Or jusqu’ici le marché, et nos partenaires habituels, n’était pas convaincus de la démarche et d’un résultat probant. Aujourd’hui, si la part de marché du textile reste encore très faible, nous progressons car auparavant ce n’était même pas un sujet de discussion !

Il nous a fallu traiter les principaux freins technologiques au développement d’un câble textile, qui sont d’une part la réaction à la chaleur, et d’autre part la résistance à la coupure (outre la force de traction bien sûr !)  Avec son analyse concrète et pragmatique du marché  n immersion avec les utilisateurs, notre chef de produit a pu renseigner notre département recherche et développement, pour qu’il puisse développer un prototype capable de rassurer le marché sur les points identifiés comme cruciaux. Nos ingénieurs se sont emparés du sujet, pour aboutir finalement au Sequorope. Il s’agit d’un process d’innovation assez classique au sein de nos entreprises, qui nécessite une très grande symbiose entre le client et la R&D. Ce sont les usages, et les problèmes rencontrés par les utilisateurs – qui détermine les axes d’innovation que nous suivons.

Ce produit a été reçu un prix comme “Équipement Forestier” des Trophées de la Machine Forestière 2021, et c’est une belle reconnaissance du travail effectué par les équipes. Il reste dans les mois à venir travailler pour convaincre les clients potentiels de « passer au textile »

Si la corde est un outil au service de la performance, elle l’est très souvent au service de la sécurité des hommes. Quel process suivez-vous pour vous assurer de la qualité des produits ?

Effectivement, ces produits « EPI » qui préviennent les risques, en particulier pour les travaux en hauteur, sont soumis à une ou plusieurs normes de sécurité très strictes.

Nos produits sont donc bien évidemment testés et évalués en sortie de production afin de vérifier qu’ils répondent à ces normes, et avant mise sur le marché, sont envoyés pour tests auprès d’un laboratoire tiers indépendant.

Vous travaillez en partenariat avec des athlètes, des organismes professionnels. Est-ce uniquement une stratégie de communication ou cela participe-t-il au process d’innovation produit ?

Nous avons deux facettes dans nos partenariats, et la première est effectivement un partenariat d’image. Ainsi, nous étions partenaires de deux bateaux participants à l’édition, en octobre dernier, de la célèbre course transatlantique Transat Jacques Vabre. Thomas Ruyant et Morgan Lagravière se sont d’ailleurs, pour notre plus grand plaisir, imposés dans leur catégorie avec sur le bateau notre logo imprimé sur la voile, ce qui nous permet de notre côté de communiquer sur cette belle performance en utilisant leur droit à l’image. Et quelques semaines auparavant, notre second partenaire Pierre Le Roy s’était également imposé sur la Mini Transat. Nous avons vécu de beaux moments à la fois sportifs et professionnels !

L’autre facette, c’est le partenariat technique. Ainsi, avant une telle course, nos équipes sont en lien permanents avec le gréeur du bateau. Nos cordes doivent répondre à un cahier des charges spécifiques pour les performances demandées en compétition, et nous avons toujours hâte d’avoir les retours sur leur comportement sur le terrain et en conditions réelles. Notre collaboration avec le secteur du yachtisme est fort, pourvoyeur de nombreuses innovations, et nous apporte un bénéfice d’image important.

Nous initions également des partenariats dans le domaine de la montagne, et sommes présents sur les salons d’importance afin de communiquer au plus près du marché. C’est que nous allons également faire des vidéos spécifiques aux sports de montagne, pour démontrer que notre matériel est utilisé au quotidien par des professionnels reconnus.

Chez Cousin Composites, nous avons un partenariat absolument majeur avec la marque Technifibre pour les cordages des raquettes de tennis. Dans ce cas précis nous travaillons quasiment en permanence en co-conception.  Nos cordages sont utilisés au quotidien par des grands champions, comme Daniil Medvedev, dernièrement en finale du Masters à Turin, et vainqueur peu de temps auparavant de l’US Open Il joue avec un de nos cordages stars en monofilament, le Razor Code, mis au point il y a maintenant quelques années et réadapté à ses besoins. Nous sortons en moyenne un nouveau cordage tous les deux ans sur le marché pour Technifibre, ce qui est sur le secteur un rythme assez soutenu. Les clients sont en effet assez fidèles à leurs cordages habituels. Cependant proposer des nouveautés permet d’animer le marché, d’investiguer également les réactions et avancées des concurrents, d’analyser les tendances, et bien sûr de faire connaître la marque.

La Responsabilité Sociale des Entreprises (RSE) fait partie des engagements stratégiques du secteur textile. Si la teinture en masse est un exemple d’engagement de Cousin dans cette voie vers une production plus écologique, pourriez-vous nous citer d’autres exemple de projets en cours ou à venir ?

Nous avons engagé depuis plus de deux ans une démarche de certification ISO qui va plus loin que la « classique » 9001, puisque nous visons d’être certifiés dès 2022 sur les normes ISO 14001 (management environnemental) et ISO 45001 (Santé et Sécurité au travail)

Si la préoccupation écologique est un axe de développement que nous devons tous intégrer, nous avons encore beaucoup de pistes de travail, notamment dans le domaine de nos produits. Les premières expériences intégrant du polyester recyclé sont plutôt positives. C’est une première étape importante vers une fabrication circulaire, mais nous ne travaillons pas encore sur des matières alternatives hors synthétiques, telles que les fibres naturelles -les hautes performances requises lors de l’utilisation de produits comme les cordages de ne nous permettent pas à l’heure actuelle de nous passer des matières synthétiques. Nous sommes donc encore contraints de consommer des matières synthétiques d’ »origine fossile ». C’est pour mieux les limiter que nous avons une très forte volonté d’utiliser les matières recyclées dès que possible. Si ce ne peut encore être le cas pour les cordages dits de sécurité, les autres types de cordage non EPI  tels que les cordes d’amarrages, de maintien, peuvent tout à fait intégrer ces fibres recyclées.

Côté fonctionnalisation, tous les process d’imprégnation générant des fumées toxiques sont appelés à être totalement supprimés ou limitées à des proportions négligeables, non dangereuses pour l’homme et la nature. Au-delà des réglementations qui deviennent de plus en plus strictes en la matière, les demandes de nos clients sont importantes pour travailler avec des process à moindre impact. Cette évolution est en cours et les résultats techniques sont déjà au rendez-vous.

Une autre piste qui nous plaît beaucoup est le partenariat que nous avons avec un ESAT. C’est un bel exemple de notre évolution car cette collaboration nous a permis de relocaliser sur le territoire une production auparavant réalisée en Asie. Nous réduisons ainsi notre impact carbone, tout en permettant d’assurer un emploi local aux personnels de cet atelier protégé. Nous sommes tous très satisfaits de ce cercle vertueux. Notre problématique aujourd’hui : nous souhaiterions monter encore en volume mais l’activité de l’atelier tourne déjà à plein régime !

Nous remarquons plus généralement que le « made in France » devient un verbatim fort : il revêt désormais, outre une connotation sociale historique avec l’emploi, une connotation environnementale plus récente avec un circuit plus court, raison supplémentaire pour laquelle nous  mais aussi nos clients, le public, les utilisateurs de nos produits, y sommes davantage sensibles

Le recyclage des produits est-il envisageable ?

C’est un projet qui débute effectivement. Si toutes nos matières ou produits finis perdues lors du process de fabrication -les freintes- sont valorisées, cette démarche peut encore progresser. D’ores et déjà, nous fournissons une partie de nos chutes de production à des fabricants de sacs de frappe pour la boxe,.. Certains autres  projets sont créatifs et utilisent nos chutes pour en faire des attaches de planches à découper ou de portes clés avec des restes de cordes !

D’autres idées restent à trouver, car le gros enjeu est la récupération et le recyclage des cordes usagées. Nous ne savons pas à ce jour refaire des cordes à partir de celles-ci, mais cela devrait arriver rapidement.

L’engagement vers ce qui est appelé « industrie du futur » va également devenir une réalité grâce au récent soutien financier accordé par le plan de relance gouvernemental ?

Ayant des projets de développement nécessitant une phase d’automatisation mais également d’extension de nos capacités de production et de stockage, nous avons pu déposer un dossier auprès de France Relance. Nous sommes heureux d’avoir obtenu ce soutien, dédié plus particulièrement à l’automatisation des procédés.

Tout est envisageable pour améliorer à la fois les conditions de travail mais surtout notre compétitivité. France relance nous oblige à avancer plus vite que nous ne l’aurions fait sans cette initiative.

Vous renforcez régulièrement les équipes au sein des ateliers. Rencontrez-vous des difficultés pour recruter du personnel, préserver les savoir-faire et former à de nouvelles compétences ? 

Historiquement notre main d’œuvre est plutôt manufacturière, mais avec la concrétisation de « l’industrie du futur » et de l’automatisation des lignes, de nouvelles compétences pourraient s’avérer nécessaires. Nous avançons à notre rythme, et il n’est pas question de révolutionner les méthodes de travail en quelques semaines, d’autant plus que nous faisons face à plusieurs défis, avec d’une part la cruciale préservation des compétences -suite à départs en retraite par exemple-, et d’autre part la difficulté d’attirer de jeunes collaborateurs sur des métiers dits traditionnels.

Séduire de nouveaux profils et des jeunes collaborateurs est certainement le principal challenge à relever. Nous devons montrer que nos métiers sont modernes, que le travail se fait de façon autonome mais aussi en équipe, que les produits sont visibles et reconnus comme dans le sport de compétition, que nos projets de recherche concernent aussi des secteurs de pointe tels l’aéronautique ou même la défense civile et militaire. Les jeunes talents ont besoin de donner du sens à leur travail, et c’est ce que nous devons essayer de leur proposer.

L’une des difficultés récurrentes de nos tailles d’entreprises reste cependant de pouvoir imaginer pour nos jeunes recrues des parcours professionnels leur permettant d’évoluer en interne. La polyvalence proposée sur plusieurs de nos métiers est une première réponse à cette problématique. La promotion interne et la montée en compétences doivent être valorisées. Nous avons d’ailleurs tout récemment promu un membre de l’équipe d’opérateurs à un poste de manager à l’occasion d’un départ à la retraite.

L’une des forces de nos PME à proposer à de nouveaux talents est l’agilité dont nous pouvons faire preuve. Une grande place est faite à la créativité, à la genèse des idées, à l’amélioration continue. La relation à la hiérarchie est également plus simple au quotidien je crois, sans barrières inutiles. Nous avons tous ensemble une certaine idée des relations au travail qui doivent rester agréables malgré les problèmes du quotidien !

Quel(le) technologie ou produit vous surprend ces derniers temps ?

Je m’interroge beaucoup sur la question climatique, et sur l’énergie. A quel prix va-t-on réussir, et faut-il continuer, à chercher de la croissance à tout prix, et avec quelles conséquences sur nos activités ? Autre question liée à la transition énergétique, les applications pour fabriquer par exemple des réservoirs pour les futurs moteurs à hydrogène m’interpellent car il existe, sur ce type de produits des opportunités de développement, pour Cousin Composites en particulier.

Propos recueillis par N. Righi -Janvier 2022