Mode in Textile

Interview: Jean-Louis Brun, Dirigeant de Brun de Vian-Tiran

« 100% fabriqué en France depuis 1808 » !

Peu d’entreprises industrielles sont en mesure d’afficher aujourd’hui une telle caractéristique sur leurs produits, alors même que le fabriqué en France revient en force.  Elle fait la fierté de la Maison familiale Brun de Vian-Tiran, spécialiste des fibres lainières et nobles, qui fabrique en France à l’Isle-sur-la-Sorgue depuis plus de deux siècles. Une performance et une longévité exceptionnelles au sein d’une filière textile durement touchée par les crises successives, mais avant tout le résultat de choix stratégiques engagés, marqués par le courage, l’audace, et la créativité de huit générations successives de dirigeants passionnés de savoir-faire.

L’atelier bicentenaire produit de manière totalement intégrée des articles haut de gamme tels que des couvertures, plaids, châles et écharpes, ou couettes. Du mérinos à l’alpaga, en passant par le cachemire, le mohair, ou encore le bébé lama ou le yack, les néophytes peuvent également depuis 2018 découvrir l’univers fascinant de ces fibres lainières de qualité, comprendre et toucher les tissus, et même actionner des machines dans le nouveau musée sensoriel et interactif de l’entreprise, baptisé La Filaventure.

Représentant la huitième génération des dirigeants, Jean-Louis Brun a hérité lui aussi de cet amour des belles matières naturelles, de la perfection du geste artisanal, mais également de la passion des territoires et des terroirs dans toutes leurs dimensions humaines, citoyennes, sociologiques. S’il s’assure au quotidien du respect des valeurs fondatrices de l’entreprise, telles que savoir-faire, qualité, exigence, authenticité, mais également innovation, il mise pour les années à venir sur la construction d’une marque forte, et sur l’ouverture de ses ateliers au public, pour toujours mieux se différencier sur un marché en quête de durabilité et de traçabilité. Echange avec un entrepreneur engagé et passionné par la raison d’être de son métier !

La Maison Brun de Vian-Tiran affiche plus de deux cents ans d’existence, et pourtant elle paraît plus que jamais vivante, moderne, dans l’air du temps. Quels sont ses secrets de longévité et de jouvence ?

C’est une entreprise familiale reprise de génération en génération depuis sa création, avec à chaque fois une période de gestion en duo entre le dirigeant sortant et la relève, facilitant de fait la transmission. Et ce d’autant plus que nous travaillons jusqu’à la fin de notre vie, par passion, depuis huit générations ! Mon père est âgé de 76 ans et il dirige toujours l’entreprise à mes côtés. Ensemble nous sommes plus forts, car la fonction du dirigeant est par définition assez solitaire. Pour exemple, lorsque nous avons lancé notre projet de musée La Filaventure il y a cinq ans, j’ai apprécié de pouvoir mener avec son soutien ce projet d’envergure en plus des affaires courantes.

Depuis la création en 1808 sous Napoléon et le Premier Empire, chaque génération a initié une révolution. Aucun dirigeant ne s’est inscrit en ligne droite avec ses prédécesseurs. Lorsque l’on évoque la tradition dans le langage courant, c’est un terme interprété la plupart du temps comme « faire comme avant ». Or la tradition est avant tout une évolution, une discontinuité ! A l’image de la nature, les entités qui ne s’adaptent pas à leur environnement finissent tout simplement par disparaître. Une entreprise familiale transmise sur huit générations ne peut pas être la même aujourd’hui qu’à sa création, et les métiers dit traditionnels sont paradoxalement ultra modernes. N’oublions pas que les bâtisseurs de cathédrales innovaient en permanence pour construire leurs chefs d’œuvre.

Pour exemple, à la fin du 19ème siècle, les deux frères Jean et Emile Brun achèvent l’intégration de l’ensemble des processus de fabrication des produits. A partir de ce moment-là, alors que la Manufacture existe depuis près d’un siècle, il devient possible de filer, tisser et apprêter le tissu de laine. Cette étape fondamentale nous a permis de devenir autonomes, et de survivre à l’exode des industries textiles françaises.

Mon grand-père a lancé le mohair dans les années 1960. Il était alors un pionnier sur le marché de la couverture avec cette matière, et pour cela il a dû travailler et explorer la filature d’un fil retors complexe. Mais au-delà du lancement d’une nouvelle matière, il a surtout créé un point de bascule entre un marché traditionnel de nécessité avec des couvertures assez épaisses, relativement rêches, en seulement deux coloris, et une nouvelle offre de douceur et de bien-être avec des plaids et des couvertures douces, légères, et disponibles en vingt-cinq coloris par gamme ! Il a provoqué une ouverture sur le monde de l’esthétique, chose qui était loin d’être demandée ou seulement envisagée par le marché à l’époque.

Enfin, et c’est une véritable force des entreprises familiales : on y reste longtemps. Nos salariés, qu’il soit cadres ou opérateurs passent en moyenne environ 34 années au sein de l’entreprise ! Ils y réalisent donc quasiment toute leur carrière. Nous avons même eu vu passer jusqu’à 5 générations d’une même famille au sein de nos ateliers.

Il est impossible de traverser deux siècles sans affronter les tempêtes de ce monde. Quelles grandes difficultés surmontées par la Manufacture pourriez-vous nous évoquer ?

En 1932, en pleine conséquences de la grande crise de 1929, l’entreprise n’emploie plus que huit personnes à temps partiel. Mon grand-père reprend le flambeau de la société à cette période-là, alors qu’il n’a que dix-sept ans et obtient la même année son diplôme d’honneur de Meilleur Ouvrier de France en tissage. D’une grande opiniâtreté, il va alors trouver un nouveau marché, et bientôt ce sont près de quarante emplois à temps plein qui seront nécessaires pour garantir l’activité.

Nous venons également de traverser près de cinquante ans d’une délocalisation poussé par l’évolution des modes de consommation, l’avènement de la grande distribution et la recherche du plus bas prix. Dans une société, ou plutôt une civilisation basée sur le principe de solidarité comme la nôtre, il est étonnant de n’avoir pas su s’interdire d’aller rechercher ces prix dans des pays et des sociétés non solidaires. Si les limites de ce modèle apparaissent enfin de façon extrêmement criante, nous avons assisté durant toutes ces années à un phénomène de désertification des territoires industriels et à la montée en puissance des produits fabriqués en masse. Il était temps que nos sociétés prennent conscience de l’importance de consommer autrement, pour maintenir un niveau de vie français, et même européen, acceptable et pérenne. C’est donc une grande fierté pour nous de n’avoir jamais délocalisé la moindre étape de notre processus.

Depuis huit générations, nous sommes des hommes et des femmes profondément attachés aux terroirs et passionnés de savoir-faire. Mon père est un pur textilien selon le terme consacré, avec près de soixante ans d’expérience du métier maintenant ! Du côté de ma grand- mère, nous avons un lien de descendance direct avec les Premiers Consuls du Pape, à Châteauneuf du Pape, à l’endroit même où est née la première appellation d’origine contrôlée apparue dans le monde, consacrant la qualité de ces territoires viticoles. Pour ma part, avec un MBA obtenu en école de commerce, j’ai plutôt été fortement sensibilisé aux nouveaux business models modernes, pourtant je n’ai jamais envisagé une seule seconde de délocaliser.

Je crois que notre culture d’entreprise, de famille, est bien plus forte que les turbulences du marché. J’ai moi-même travaillé en tant qu’œnologue durant plus de dix ans à travers le monde, avant de reprendre l’entreprise familiale, et j’ai également eu l’honneur d’officier durant 6 ans en tant que vice-président d’Ateliers d’Art De France, premier syndicat des métiers de l’art et fondateur du salon Maison & Objet. J’ai par ailleurs obtenu un doctorat en sciences cognitives sur les gestuelles traditionnelles. Notre mission familiale reste de travailler une matière première locale, de l’exprimer, de la transformer pour fabriquer de beaux objets à destination d’un public amateur de beaux produits qualitatifs. Faire connaître notre atelier est une fierté et j’ai vraiment à cœur de toujours mieux valoriser ce bijou à la fois d’histoire et ancré dans la modernité, pour évidemment continuer à le pérenniser.

Le développement durable est un marqueur fort de l’ADN de Brun de Vian-Tiran, comment réussir à l’exprimer auprès d’un public en quête de sens aujourd’hui ?

J’ai fait réaliser un audit RSE il y a quatre ans maintenant, dont les conclusions ont révélé que nous faisions déjà de nombreuses choses dans ce domaine. Ce n’était simplement pas formalisé par des labels ou normalisé. La manufacture est une entreprise citoyenne par essence, par sa politique de préservation de l’emploi local, l’attention portée à l’épanouissement au travail, la naturalité des matières premières, l’écoresponsabilité de nos process majoritairement basés sur une transformation mécanique peu coûteuse en énergie, entre autres. Nous sommes fidèles depuis toujours aux emplois français, n‘avons jamais travaillé ces fibres synthétiques dont nous connaissons aujourd’hui l’impact sur l’environnement, en particulier sur l’eau. Bref ce qui est annoncé comme un retour aux sources dans le textile n’en est pas un pour nous puisque nous avons toujours respecté ces valeurs de durabilité et de responsabilité.

L’ensemble de nos quinze étapes de fabrication se fait déjà en respectant le cahier des charges de l’association Oeko-Tex®, et nous sommes actuellement en transition vers l’obtention de la certification Oeko-Tex® Standard 100 de l’ensemble de nos produits, ce avec l’aide de l’IFTH.  C’était à l’origine une demande du catalogue Linvosges, l’un de nos clients historiques, que nous souhaitons transformer en opportunité pour passer un nouveau cap dans la valorisation de la durabilité de notre activité. C’est par ailleurs un label qui présente plusieurs avantages, avec un fort capital de marque reconnu en France et à l’international, un cahier des charges réel et la neutralité d’un organisme de certification tiers.

Toutes les entreprises revendiquent aujourd’hui d’œuvrer dans l’optique d’une démarche RSE, certaines assurent même avoir été créées avec une mission quasi philanthropique car la pression des consommateurs est de plus en plus forte ! Il est donc de plus en plus difficile de communiquer au milieu du bruit généré, et il est important pour nous de faire savoir que nos racines sont profondément ancrées dans ce qui est appelée RSE aujourd’hui, qui est peut-être simplement du bon sens citoyen, et que nous nous inscrivons non pas dans une mode, une tendance, mais bien dans une culture familiale responsable depuis deux siècles.

Il est par ailleurs dommageable que nous ne puissions pas plus échanger à l’échelle européenne avec les groupes de travail qui réfléchissent en ce moment même sur le projet d’étiquetage environnemental des textiles. Il est en effet par essence défavorable à la laine puisqu’il pénalise d’une part l’empreinte carbone de l’élevage, alors même que la laine n’est qu’un sous-produit de l’élevage des moutons, et que, d’autre part, la durée de vie, la véritable durabilité du produit n’est pas prise en considération. De la même façon, n’est pas pris en compte le plus faible impact environnemental de l’entretien de la laine, avec son moindre besoin en détergent, des températures de plus basses que pour d’autres matières, et à ma connaissance pas de perte de nanoparticules toxiques dans les eaux de lavage. Or il faut faire confiance à l’intelligence du consommateur en lui permettant d’accéder à l’ensemble des informations dont nous disposons, qu’il soit en mesure de prendre une décision réellement éclairée et en toute confiance.

« Non merci pas de laine, ça gratte ! ». Cette affirmation si souvent entendue, et parfois même transmise entre générations, semble-elle toujours fondée aujourd’hui ? Comment gérer la qualité des matières que vous proposez ?

En matière de laine, la tendance de fond est la recherche de douceur, au même titre que pour le lin par exemple. Cependant, il y a un véritable changement des mentalités ces dernières années, et cette remarque sur la laine qui gratterait à tendance à disparaître. Nous le constatons d’autant plus depuis que nous avons ouvert La Filaventure et que croisons ainsi de nombreux néophytes en matière de laine. Il existe d’ailleurs de beaux projets, comme celui de Laines Paysannes pour n’en citer qu’un, qui touchent un public qui recherche avant tout autre critère l’authenticité du produit, avec un « toucher vrai ».

Les laines les plus douces, comme celles des Mérinos d’Arles dont nous sommes spécialistes mais aussi les laines d’Australie les plus fines du monde, s’expriment souvent pleinement dans les produits dans lesquels la douceur et le coup de cœur esthétique sont primordiaux, comme les plaids, les écharpes ou les châles. Les laines croisées se révèlent dans les couvertures, et de plus en plus dans les couettes là où leur gonflant naturel trouve sa pleine expression. Chaque matière première trouve son emploi correspondant à ses qualités.

Nous avons toujours travaillé les laines de France et fait leur promotion auprès de nos partenaires et clients comme les grands magasins parisiens, en précisant ce qu’elles apportaient factuellement dans nos couvertures, couettes et autres produits, en l’occurrence le moelleux, la chaleur, le ressort, le gonflant, le confort. Et la thermorégulation est importante, car la chaleur apportée est saine grâce à la capacité exceptionnelle de la laine à évacuer l’humidité.

Le travail sur la matière est une recherche constante avec, tout au long de l’année, quatre personnes en charge de la sélection et des achats de ces laines venant du monde entier, dont mon père et moi-même. L’appréciation tactile et visuelle est extrêmement importante pour imaginer les produits qui correspondront parfaitement aux qualités de laines rencontrées. C’est un poste comptable très important, et tout l’enjeu pour une petite manufacture comme la nôtre est d’échapper à la spéculation sur les prix des matières à l’échelle mondiale. Nous sommes une marque reconnue, et nous ne pouvons répercuter sur nos prix de vente la volatilité des marchés. Des stocks sont donc constitués de manière à avoir la quantité de matière nous permettant d’avoir de l’avance, d’amortir les variations de prix éventuelles, mais aussi d’attendre les bonnes qualités de laines selon les saisons. Nous ne sommes pas pressés d’acheter et pouvons donc nous permettre d’avoir un très haut niveau d’exigence. Là encore, être une maison familiale indépendante et autonome est une véritable force. Notre politique d’achat ne transige pas avec la qualité.

La préservation des savoirs et savoir-faire est cruciale pour la continuité de votre activité, comment vous assurez-vous d’être toujours en mesure de les transmettre aux nouvelles générations de collaborateurs ?

Pour être en capacité de transmettre les savoirs et savoir-faire, il est absolument essentiel d’être plusieurs à les détenir. Le socle de la transmission est donc la polyvalence des métiers. Si nous évoquons traditionnellement une quinzaine d’étapes de fabrication dans les ateliers, nous avons donc tout autant de grands savoir-faire à préserver. Les opérateurs qui ont l’envie et la capacité d’apprendre sont formés à plusieurs de ces métiers.

Les ateliers étaient peu attractifs il y a quelques années, mais la tendance change et nous recrutons de jeunes profils très intéressés par nos métiers, qui sont intégrés en simultané sur certains postes avec nos aînés pour apprendre à exprimer à travers le geste l’intelligence de la main, l’intelligence de leurs mains.

Si elle est labellisée Entreprise du Patrimoine Vivant, Brun de Vian-Tiran se veut être tout sauf un conservatoire de vieilles machines. Comment gérez-vous la modernisation nécessaire du matériel de production ?

La manufacture n’est effectivement pas un écomusée ! Vous pouvez y trouver des cardes centenaires qui fonctionnent toujours, souvent équipées de variateurs de vitesses ou autres capteurs modernes, mais aussi des métiers à tisser à pince positive par exemple, des machines ultra performantes dans le domaine des technologies cardées. Il n’y a pas de culture de la vieille machine, cependant nous nous attachons à conserver toutes les étapes de fabrication. Ainsi, nous continuons le foulonnage, le grattage aux chardons, car ce sont des savoir-faire irremplaçables.

Mon père, mon grand-père ont toujours été ouverts aux nouvelles technologies et nous ne manquons aucune édition du salon international des machines textiles ITMA, dont nous parcourons chacun des kilomètres carrés lors de chaque édition pour être certains de ne rien manquer ! Nous ne serions pas modernes si nous n’avions pas cette tradition de remise en question permanente. Nous disposons d’une grande diversité de métiers, et donc de plusieurs leviers d’innovation possibles pour améliorer les process. La tradition de la manufacture, c’est de continuer à innover et non pas de faire comme avant.

Il est même prouvé en sciences humaines qu’il est tout à fait impossible de transmettre sans transformer. En théorie des systèmes, il existe toujours une dynamique de coévolution entre une entité, une ville, un organisme et son environnement. A l’échelle de notre entreprise, nous influençons notre environnement et il nous influence en retour. C’est ce qui nous permet d’être toujours en phase avec un écosystème en constante évolution.

« Pour assurer son avenir, il faut savoir faire connaître son nom ». Pourriez-vous nous présenter les grands axes de votre stratégie de construction de marque ?

Il existe un véritable enjeu de notoriété à atteindre, car nous devons absolument exister en tant que marque. Ce qui signifie être capable d’occuper une place mentale dans la tête du consommateur. Nous investissons depuis plus d’une quinzaine d’année pour atteindre un objectif idéal : devenir « top of the mind », c’est-à-dire devenir la marque réflexe pour tout acheteur en quête par exemple d’une couverture ou d’un plaid de qualité française. Durant   la prochaine décennie nous continuerons à mettre tout en œuvre pour cela, être connus, reconnus et demandés.

J’ai lancé notre site internet marchand il y a treize ans maintenant, relativement tôt sur notre secteur d’activité, et ce choix s’avère payant car il nous aide à compenser efficacement le déclin du marché traditionnel des boutiques de linge de maison. Il nous a également aidé à surmonter les périodes d’arrêt d’activité lors de la crise du Covid. J’ai par ailleurs initié il y a huit ans une mission de relations presse avec l’aide d’une agence nîmoise. Ce travail de longue haleine, purement relationnel, donne de vrais résultats puisque même l’année dernière en période de Covid nous étions présents dans deux à trois publications par semaine .  Nous faisons de notre vécu et de nos produits des sujets d’intérêt qui répondent aux besoins des journalistes en histoires authentiques. Des collaborations avec d’autres marques naissent aussi, comme le travail que nous effectuons depuis près d’un an sur des plaids en alpaga avec la décoratrice Sarah Lavoine.

Mais le dernier investissement majeur réalisé pour faire connaître la marque est bien évidemment notre musée-usine La Filaventure, projet réalisé avec l’une des meilleures agences de muséographie de France experte de la vulgarisation scientifique. Nous y avons installé notre unique boutique, que nous avons imaginée comme un écrin de la marque, dans une ancienne filature avec beaucoup de cachet voisine de notre atelier, et située dans un ensemble classé Site Patrimonial Remarquable du village de l’Isle-sur-la-Sorgue. Et nous découvrons un nouveau métier, celui d’accueillir du public ! Notre ville est une plateforme touristique importante, en particulier pour tous les amateurs de beaux objets, d’antiquités et de brocantes, un public sensible aux belles matières. Cette boutique participe ainsi à nous faire connaître partout dans le monde.  Nous venons par ailleurs d’adhérer à Entreprise et Découverte, organisme de référence des visites d’entreprises et du tourisme industriel en France et de décrocher le label Qualité Tourisme .

 

La notion de solidarité mise en exergue durant la crise sanitaire est, elle aussi, profondément ancrée dans l’ADN de Brun de Vian-Tiran, comment s’exprime-t-elle au quotidien ?

La difficulté des laines de France à se faire connaître est bien réelle, et nous sommes solidaires des bergers de France depuis deux siècles. Nos ateliers sont les premiers transformateurs et promoteurs français des Laines de France depuis des décennies. Je suis par ailleurs co-fondateur du Collectif Tricolor, né plus récemment à l’initiative de Pascal Gautrand, qui souhaite valoriser l’ensemble des acteurs de la chaîne de valeur de la filière laine nationale.

Depuis près de trente ans, Brun de Vian-Tiran mène un projet de sélection génétique des Mérinos d’Arles afin de retrouver une finesse qui s’était perdue. Ce projet permet de rémunérer davantage les efforts engagés par les bergers pour assurer une belle qualité de laines et, in fine, de mieux valoriser leurs qualités grâce à la marque déposée «Mérinos d’Arles Antique ». Nous sommes d’ailleurs un cas unique dans le monde d’entreprise privée s’engageant pour l’évolution d’une race, représentée par un cheptel de près de 25 000 moutons, afin de produire la laine la plus fine de l’hémisphère nord.

De nombreuses petites marques françaises, des bergers indépendants aux manufactures plus connues, nous sollicitent pour effectuer une ou deux, voire l’ensemble des étapes de fabrication de leurs produits. Ce service de travail à façon est peu rémunérateur pour un industriel, mais c’est un choix solidaire d’ouverture et d’échange avec ces entreprises. Nous nous inspirons mutuellement. Et puis tout simplement, sur le modèle de l’industrie textile italienne, « on est plus fort ensemble » !

Si Brun de Vian-Tiran est une marque positionnée sur les marchés haut de gamme et luxe, de nouvelles initiatives permettent de rendre tout à fait accessibles certains beaux produits. C’est en particulier le cas avec votre nouvelle collection de produits upcyclés. Pourriez-vous nous dire quelques mots de ce projet ?

Nos produits upcyclés sont désignés par une styliste, et ensuite confectionnés en série par un excellent atelier de réinsertion basé sur Avignon. C’est une opportunité de surcycler nos déchets de production, plutôt que de les recycler comme nous le faisions précédemment par effilochage. La valorisation est ainsi plus qualitative, et les coûts de revient de ce type de fabrication nous permettent de proposer des produits à des prix plus accessibles, notamment pour des achats d’impulsion. En sortant de notre musée, comme dans tous les musées du monde, vous avez envie d’acquérir un objet de la marque. Or le grand public qui visite La Filaventure n’est pas représentatif de notre clientèle habituelle, les profils sont extrêmement variés au même titre que les pouvoirs d’achat. La collection upcyclée permet alors à chacun de profiter de nos tissus, d’emporter une petite partie d’histoire lainière avec lui. Nous allons donc bien évidemment pérenniser ce projet dans les années à venir pour mettre la qualité française à portée de tous.

La mission de la Manufacture semble être avant tout une aventure humaine et citoyenne, porteuse d’épanouissement personnel bien au-delà de la fabrication d’objets…

Si la Maison Brun de Vian Tiran est avant tout créatrice d’étoffes, de rectangles de tissus, son activité a bien évidemment une dimension également philosophique. Etant moi-même sensible aux sciences cognitives et humaines, j’ai pu faire tout un travail pour comprendre ce qui faisait le territoire de notre marque dans tous ses aspects anthropologiques et sémiotiques. Et notre raison d’être est finalement de fabriquer des doudous d’adultes ! Les théories scientifiques basées sur l’observation des enfants et des objets transitionnels tels que les doudous s’appliquent en effet à notre métier.

Le premier doudou de l’enfant est très souvent un coin de couverture. Les objets que nous fabriquons sont une médiation entre nous et le monde, à la condition nécessaire que l’on puisse se les approprier, les déformer à notre manière. Un tissu, à fortiori à dimension animale, dans lequel un individu va pouvoir s’entourer lui permet de créer un milieu transitionnel et de façonner l’image qu’il veut renvoyer au monde extérieur. C’est plus difficile avec un vêtement déjà formaté, à priori peu déformable. Les visiteurs touchent, effleurent, caressent les produits dans notre boutique, les portent à leurs joues, sentent leur odeur… La dernière transformation apportée au produit est une rencontre, une déformation unique que décide de lui donner le client. Celui-ci est l’ouvrier de cette dernière étape. Le territoire psychologique de nos produits est fondamental et nous travaillons cette valeur forte. Qu’apportons-nous au monde avec les objets que nous fabriquons ? C’est une question qui me passionne toujours !

Propos recueillis par N. Righi – Octobre 2021

Photos© Stéphane CANDE