Mode in Textile

Interview: Jacques Martin-Lalande, Ateliers France Inter Mode

« En France, il n‘y a plus d’activité de confection ».

Si cette idée est bien souvent ancrée dans l’esprit du grand public depuis les délocalisations massives vers l’Asie, il existe pourtant toujours une activité de confection en France. Transformée, adaptée, spécialisée, celle-ci a bien souvent fait du vêtement de luxe son relais de croissance, en particulier dans l’Ouest de la France.

Les ateliers FIM (France Inter Mode) sont un groupement familial d’ateliers de confection spécialisés dans le vêtement et l’accessoire pour le prêt-à-porter de luxe.  Créés il y a 30 ans, l’ensemble des 7 ateliers de fabrication représentent près de 600 collaborateurs. Chaque atelier est spécialisé dans un secteur d’activité (pièces à manches, maillot de bain, bagagerie …).

Ingénieur de formation, Jacques Martin-Lalande a débuté sa carrière chez Deloitte avant de reprendre un atelier de fabrication de chemise et de rejoindre ensuite l’entreprise familiale. S’il dirige avec deux de ses frères les ateliers FIM, il est également Président du Groupement de la Fabrication Française (GFF), et fait partie du Conseil d’Administration de l’Union Française des Industries Mode et Habillement (UFIMH).

Innovation, formation, service…Il a accepté de revenir pour nous sur les stratégies qui ont permis le renouveau de cette activité en pleine croissance. Car oui, il existe aujourd’hui en France des ateliers de confection qui recrutent!

Alors que le déficit d’image est toujours prégnant en France, la mode et du luxe se porte bien en France, et vos ateliers ont redéveloppé leur activité.  Quelles stratégies avez-vous privilégiées ces dernières années pour réussir à inverser la tendance ?

Deux grands choix stratégiques expliquent notre croissance actuelle. La première décision importante a été de recentrer plus spécifiquement notre activité sur nos clients du secteur du luxe. Ainsi, tout a été mis en œuvre pour pouvoir répondre à leurs besoins et à leurs exigences, notamment en termes de délais. Nous avons également développé de nouveaux services tels que la broderie, le matelassage, la coupe ultrasons entre autres.

Le deuxième travail de fond effectué concerne l’amélioration de la productivité, avec des investissements dans de nouveaux outils tels que des outils de découpe équipés de caméras par exemple. Cela nous permet au final de pouvoir baisser notre coût de production.

Pour nos clients du luxe, le triptyque coût/qualité/délai est primordial. C’est donc sur ces points que nous essayons de nous améliorer en permanence.

Cela a été mis en exergue dans le Contrat stratégique de filière Mode et Luxe en ce début d’année, la formation occupe une place centrale dans la stratégie nationale d’accompagnement du secteur.  La transmission des savoirs est importante dans votre secteur, et recruter est difficile. Quels sont vos priorités pour faire face à cette problématique ?

Il est absolument nécessaire de travailler avec les managers sur le transfert de savoirs et de savoir-faire. Les « sachants » sont les premiers garants du système, il est nécessaire de les préserver au sein de l’entreprise, tout en leur donnant les moyens de transmettre leur expertise. Au sein de notre groupement nous avons choisi de développer notre propre organisme de formation, partagé entre tous nos ateliers. Il nous permet de mutualiser les ressources et les formations, et de s’assurer en permanence d’avoir ce vivier de « sachants » disponibles. Et du côté de ces managers, cela permet de garder leur passion pour leur métier intacte, de réfléchir à des environnements épanouissants pour et avec eux.

Nous avons également besoin de recruter de nouveaux collaborateurs, afin de pallier aux départs à la retraite et de répondre aux besoins de notre développement. Nous avons opté pour le système de préparation opérationnelle à l’emploi (POE), qui permet de recruter des personnes sans aucune compétence métier et de les former au sein même de nos ateliers durant près de deux mois et demi. Près de 120 personnes ont ainsi pu intégrer le groupement l’année dernière, et nous prévoyons entre 80 et 100 embauches cette année grâce à ce système.  Il faut cependant accorder une grande attention lors du suivi de ces nouveaux collaborateurs durant les premières années et les accompagner de façon durable, car il est impossible de devenir expert métier en si peu de temps.

Enfin, il est indispensable de s‘assurer du niveau de satisfaction de nos collaborateurs au travail. Il existe dans notre région une expérimentation sur la « marque employeur ». Cette démarche volontaire encadrée par la DIRRECTE  permet entre autres de faire le point sur la qualité de vie en entreprises. C’est ce que nous avons fait, avec un premier questionnaire de satisfaction soumis en 2012, et le deuxième début 2019. Les résultats montrent que les conditions de travail s’améliorent ; nous constatons que cette tendance n’est pas seulement présente chez nous mais aussi dans l’ensemble de la filière.

S’il reste un élément difficile à faire évoluer avec la rémunération, toujours citée comme point faible en regard de la qualité demandée et le prix final des produits de luxe en boutique, il n’est reste pas moins que d’autres initiatives sont très bien perçues. Prenez la climatisation des ateliers par exemple ; impensable il y a encore quelques années en arrière, c’est un vrai point fort des entreprises qui l’ont mise en place aujourd’hui !

Si l‘on parle souvent d’expertise et de maîtrise des savoir-faire, il semble aussi extrêmement important de parler de polyvalence. La mise en place d’un processus de certification de qualification professionnelle (CQP) vous permet de compter des salariées diplômées d’un CQP opératrice multipostes aujourd’hui. Est-ce essentiel pour assurer une flexibilité et une réactivité toujours plus demandée par les clients, sans faire de compromis sur la qualité ?

Effectivement,  nous traitons des tailles de séries relativement modestes  ces dernières années, peu de produits standards sortent de nos ateliers. Une veste de créateur est pensée pour en faire un produit de luxe, un produit rare, avec des coupes originales, des broderies hors-normes, etc.

Cela exige de nos collaborateurs et collaboratrices une très grande flexibilité dans leurs activités. Ceci pourrait être un frein à la motivation, mais au contraire, cela permet de ne jamais s’ennuyer sur une même tâche, ou un même produit. Les jeunes générations apprécient particulièrement cette polyvalence, avec de nouveaux défis, et du sens apporté au produit avec une méthode de confection quasiment propre à chaque vêtement.

Et pour les opératrices plus confirmées, cela permet de renouveler l’intérêt de leur travail, et de valoriser leurs compétences et leur polyvalence au sein de l’entreprise. Le CQP est un parcours de formation professionnel particulièrement exigeant, assez long, et nos collaboratrices sont donc fières de pouvoir revendiquer ce niveau d’expertise aujourd’hui. C’est également une manière de promouvoir notre professionnalisme auprès de nos clients.

Digitalisation des process et des moyens, automatisation des procédés de fabrication et d’assemblage, conception de cobots …  Au-delà de l’amélioration de la productivité, l’humain, les conditions de travail et la qualité de vie en atelier occupent une place centrale de l’industrie du futur, c’est ce que vous souhaitez pérenniser et renforcer pour développer vos activités dans les années à venir ?

Nous recherchons en permanence des opportunités d’optimisation de nos process, même si l’humain représentera toujours notre ressource la plus précieuse. Côté digitalisation, ce sont donc les éléments de communication au sein de l’atelier qui pourraient nous intéresser, comme l’utilisation de tablettes numériques ou la dématérialisation complètes des réunions multisites grâce aux outils de webconférences avec caméra par exemple. En termes de gains de temps et d’efficacité, il y a sans aucun doute un système numérique à réfléchir et à mettre en place.

Concernant l’automatisation des tâches, si cela semble peu intéressant pour nos activités liées au vêtement, ce n’est au contraire pas le cas pour une de nos activités un peu différente, la fabrication de couches lavables. Cette ligne de production particulière au sein de Confection Fléchoise est née d’une rencontre avec des porteurs de projets qui nous ont convaincus de l’intérêt de leur produit. C’est un produit standardisé, avec un volume important, grand public, dont la fabrication peut sans doute se prêter à une automatisation accrue.

Nous y réfléchirons notamment tout au long du projet Innofabmod* dédié à ces problématiques et auquel nous participons.  Il est important de travailler en réseau avec les syndicats professionnels, les clusters, la famille, et bien d’autres encore, pour partager l’information, connaître son environnement, cela facilite les projets d’innovation et de développement, et renforce les relations entre entrepreneurs. Notre métier comporte un risque, celui de se retrouver avec une rupture de charge du soit à des problèmes d’approvisionnement matière soit baisse ponctuelle de commande, sachant que notre visibilité sur le carnet de commandes est relativement courte. Connaître les bonnes personnes permet aussi de rebondir, de retrouver une charge d’activité complémentaire, ou d’aider une entreprise dans le besoin.

En tant qu’industriel de l’habillement, quel regard portez-vous sur le métier et sur son évolution ?

Pendant longtemps, notre filière s’est contentée de travailler « en mode survie ». Face aux crises répétées, la notion de pérennisation de l’activité n’était pas considérée comme prioritaire. Puis lorsque la stabilisation de l’activité est enfin arrivée, le marché était lui au ralenti, permettant aux acteurs de retrouver un peu de sérénité. Depuis quelques années le marché est de nouveau en nette croissance, en particulier grâce au luxe, mais les sous-traitants doivent dans le même temps faire face aux départs à la retraites, une situation nécessitant de mettre en place de nouveaux outils pour restructurer les process et être en capacité de répondre aux besoins.

C’est une phase particulièrement éprouvante pour les entreprises.  Et si certaines meurent de n’avoir su prendre ce virage, une nouvelle génération d’entrepreneurs et de dirigeants a su en faire une opportunité et ainsi redynamiser notre secteur d’activité.

Qu’est-ce qui vous a surpris récemment dans l’univers de la mode et du textile ?  

Les capacités de certains jeunes collaborateurs m’impressionnent beaucoup. Ces personnes qui ont réellement « de l’or entre les mains », parfois sans qu’elles en aient véritablement conscience, sont de véritables pépites et c’est extrêmement riche, motivant, parfois étonnant, de travailler avec de tels profils.

Propos recueillis par N. Righi – Mars 2019

*Porté par l’Institut français du textile et de l’habillement (IFTH), et financé par la Région des Pays de la Loire, le programme collectif  Innofabmod a pour ambition de mesurer l’impact des nouvelles technologies de production sur la compétitivité des entreprises.