Jacques Gindre est le Président-directeur général du groupe Mulliez-Flory, spécialiste des vêtements d’image et de protection. Une PME plus que centenaire, qui a su s’adapter à son environnement et se construire pour faire face à une forte concurrence, et est intégrée de la création à la fabrication des produits. Si elle mise aujourd’hui sur le service, la qualité et la RSE (Responsabilité sociale des entreprises) pour se démarquer et séduire des clients très exigeants, ce qui lui permet de travailler avec de nombreux organismes publics, la société a surtout fait de l’innovation le fer de lance de sa stratégie de développement. Du made in France au vêtement intelligent, Jacques Gindre nous parle aujourd’hui des projets d’avenir de Mulliez-Flory.
Mulliez Flory est une entreprise intégrée, de la conception du produit jusqu’à sa livraison. Sous quels aspects l’innovation est-elle présente au sein de l’entreprise ?
L’entreprise a toujours eu une fibre innovation très présente. Nous avons toujours à cœur de proposer à nos clients des solutions en termes de fibres, tissu, d’ergonomie afin d’améliorer encore et toujours le confort et la protection du porteur.
Depuis quelques années nous nous sommes lancés dans le vêtement connecté, véritable révolution à laquelle nous croyons beaucoup car elle permettra dans les années à venir de mieux repérer le stress et les problèmes de postures des collaborateurs de métiers à risque. Nous avons à l’heure actuelle 4 grands projets d’innovations sur le point d’aboutir, qui sont suivis par une cellule en interne dédiée complètement à l’innovation et gérée par un ingénieur textile : le vêtement connecté permettant de mesurer la pénibilité au travail d’un salarié, le projet AUTONOTEX financé en partie par la BPI pour monitorer les patients et salariés, le projet MESOTEX pour capter les odeurs nauséabondes et le projet SEM (Système Expert Mensuration) pour une détermination de taille à distance – ces deux derniers projets étant menés en partenariat avec l’IFTH.
Vous êtes engagés dans plusieurs projets de R&D avec d’autres acteurs de la filière, depuis plusieurs années. Pourquoi avoir choisi le mode collaboratif pour innover dans certains domaines ?
Le travail collaboratif permet une mixité créatrice. Nous sommes des experts dans le vêtement professionnel, mais quand nous voulons développer un vêtement connecté beaucoup d’autres savoir-faire entrent en jeu et nous n’avons pas les compétences en interne. Dans le domaine du monitoring, projet pour lequel nous sommes chef de file, nous travaillons avec des experts de l’électronique. On apprend ensemble et on échange pour trouver des solutions sur des problématiques complexes et réelles. Pour la gestion de données ou du digital par exemple, nous nous appuyons sur les expertises d’autres structures comme des écoles ou des sociétés spécialisées
Pionnier du vêtement de protection connecté en France, où en êtes-vous aujourd’hui du déploiement de vos premiers produits « intelligents » sur le marché ?
Nous sommes en phase de tests. Les contraintes sont fortes et nous avons rencontré des problématiques au fur et à mesure de nos avancées, problématiques que nous n’aurions pas pu deviner au départ du projet. Nous avançons, plus doucement que prévu mais nous avançons.
Le développement durable est une composante importante de l’entreprise, notamment à travers le recyclage et l’up-cycling. Très concrètement, quelles actions avez-vous mis en œuvre pour cela ?
Nous avons été les 1ers créateurs en vêtements professionnels à adhérer à l’ONG Yamana en 2005, afin d’ancrer dans le temps l’ensemble de nos actions en termes de Développement Durable. Depuis janvier 2018, nous sommes certifiés RSE 26001 pour l’ensemble de notre système de management de la RSE, certification délivrée par l’organisme national Ecocert. Notre but est de créer et concevoir le vêtement de travail dans sa globalité pour le rendre le moins polluant possible, analyser son cycle de vie avant de produire pour prendre conscience de son impact sur l’environnement.
Cela passe par l’utilisation de fils recyclés ou de coton bio, de rationalisation de gammes dans certains cas, d’utilisation d’accessoires recyclables, de circuits de production optimisés, de voies de recyclage diverses afin de pouvoir trouver une solution de valorisation pour l’ensemble des produits fin de vie. Les choses avancent doucement en amont, nous sommes plus dans une réponse à court terme via le recyclage mais c’est important.
Pour les grosses quantités et pour des produits simples nous proposons l’effilochage sur sol français via un prestataire local qui nous assure le tri et la destruction « propre » des produits. Pour les éléments à majorité coton le recyclage est proposé, pour les costumes nous proposons des dons à des associations quand le vêtement n’est pas marqué.
Et pour les produits plus compliqués comme les EPI nous développons l’upcycling. Ce type de recyclage est plus coûteux mais permet de « joliment » donner une 2ème vie à ces produits sous une autre forme (sac, besace, trousse etc, dans un cadre social et solidaire car nous passons par des ESATs et ateliers de réinsertion professionnel pour l’ensemble de cette prestation.
Vous avez développé depuis une dizaine d’années une collection Made in France un peu particulière puisqu’adaptée au handicap, sous la marque Selfia®, pourriez-vous nous en dire un peu plus ?
Nous avons racheté la marque Selfia® en 2008. C’est une marque qui nous intéressait car porteuse de sens et développée en collaboration avec des ergothérapeutes. Tous les produits ont été conçus pour permettre à des personnes en perte d’autonomie de se vêtir tout seul, et pour les aidants de pouvoir vêtir facilement une personne en perte totale d’autonomie. D’abord développé pour les seniors, ce concept s’est petit à petit étendu à la mode pour les personnes à mobilité réduite, et nous a même permis d’améliorer nos propres vêtements d’image en prenant des idées d’ergonomie qui s’adaptent très bien au milieu professionnel.
Les produits Selfia® sont faits à 90% en France et sont en vente sur le site www.selfia.com.
Finalement, quel regard portez-vous sur l’évolution de votre métier, et sur l’industrie textile habillement de façon plus générale ?
Pour nous, le vêtement intelligent devra apporter une valeur ajoutée dans l’amélioration du bien-être et de la sécurité des collaborateurs au travail et il permettra à l’humain de rester au cœur de cette industrie 4.0.
Tout ne deviendra pas digital. Tout ce qui pourra être robotisé le sera mais l’humain gardera une place prépondérante et le bien-être et la sécurité seront des composantes majeures de cette nouvelle industrie.
Propos recueillis par N. Righi – Février 2018