Mode in Textile

Interview : Daniel Porte, dirigeant de la société Monnet

Tous les sportifs le savent : pour être performant, mieux vaut être bien dans ses baskets, ou plutôt dans ses chaussettes.

Fort de ce principe, Daniel Porte a repris en 2012 la société Monnet, qui fabrique des chaussettes techniques estampillées Made in France grâce à une production entièrement réalisée à Montceau les Mines, en Bourgogne. Des chaussettes ultra techniques, adaptées notamment aux univers sportifs du ski, de la randonnée, du trail et du running, intégrant des fils fonctionnalisés, antibactériens, favorisant la circulation sanguine et la récupération musculaire entre autres, mais également d’autres matériaux comme un gel silicone intégré aux produits de sa nouvelle gamme GelProtech.

Reconnue pour les performances techniques de ses produits, Monnet équipe par exemple les sportifs de haut niveau des équipes nationales de ski nordique. Daniel Porte revient pour nous sur l’importance fondamentale de l’innovation pour maintenir et développer l’activité son entreprise.

Monnet est spécialiste des produits très techniques destinés aux sportifs réguliers, un public de plus en plus demandeur de produits performants et confortables.  Qu’est-ce qui vous incite à être toujours être plus innovant ?

Notre cible est assez large, puisque nous nous adressons à des sportifs réguliers et impliqués. A partir du moment où la pratique sportive devient importante, voire intense, et que vous fassiez un jogging quotidien ou de l’ultratrail, s’impose alors la nécessité de se protéger de plusieurs désagréments et de risques : le froid, la chaleur, le frottement, la blessure, la douleur…

La raison d’être de Monnet est d’offrir les solutions les plus efficaces pour limiter et prévenir ces problèmes. La chaussette devient alors une seconde peau « intelligente », capable de protéger différemment chaque zone recouverte de textile.

A noter également que nous proposons aujourd’hui deux autres gammes, hors univers sportifs, l’une pour l’industrie destinée aux porteurs de chaussures de sécurité, et l’autres destinés aux pratiquants des activités chasse et de pêche.

L’innovation est cœur de l’ADN de Monnet, comment se traduit-elle concrètement dans l’entreprise ?

Au sein de notre organisation, nous travaillons ainsi essentiellement sur un mode d’évolution et d’amélioration continues. Rester à l’écoute est bien entendu une nécessité. Nous nous nourrissons des remontées du terrain, de nos clients quels que soient leurs profils, consommateurs finaux ou détaillants.

Concrètement, deux fois par an nous réunissons les commerciaux de l’entreprise et les collaborateurs du process de production afin de décortiquer les besoins clients, exprimés ou à créer. Cela nous permet alors de passer au crible nos collections (deux par an : une été, une hiver), et de déterminer l’avenir de chaque produit : soit nous le gardons tel quel, soit nous le faisons évoluer, soit nous l’abandonnons.  Et si nécessaire, nous créons un nouveau produit pour mieux  répondre à un besoin. Ainsi à titre d’exemple, le besoin pour une protection du tibia existait bien mais n’avait pas trouvé de réponse vraiment efficace

Par ailleurs sur certains projets, nous travaillons en partenariat avec d’autres interlocuteurs. Pour Gelprotech, c’est une école de chimie située à Lyon qui nous a permis de trouver le bon fournisseur du gel de silicone intégré à la chaussette. Nous avons aussi dû chercher des entreprises capables de coudre la poche contenant le gel, opération nécessitant des machines à coudre et des aiguilles spécifiques. Pour un autre produit de la gamme GelProtech, la Chevillère, fabriqué à base de tissu élastique en Lycra™, le travail a été effectué avec un bureau d’études externe pour la création prototype, et une deuxième société pour la fabrication des prototypes. C’est un produit nécessitant une opération de thermocollage, et là nous avons décidé d’investir dans une machine spécifique, afin de pouvoir assurer la montée en production.

Sur un marché devenu concurrentiel, le Made in France fait-il la différence auprès de vos clients ? Etre partenaire d’organismes comme la Fédération française de ski nordique, encadrant des champions comme Martin Fourcade lors de grands évènements internationaux, vous aide-t-il à promouvoir cette fabrication 100% française ?

Nous avons deux types de clients : le client direct, c’est-à-dire le magasin, et le client indirect, qui est le consommateur final. Pour ce dernier, la fabrication française fait aujourd’hui incontestablement la différence. La récente tendance de fond pour une reconnaissance des consommateurs et une envie d’aller vers des produits Made in France est bien réelle, et tant mieux.

Par contre du côté de la relation commerciale avec le magasin, la fabrication française est certes un élément de plus en plus favorable mais elle reste encore fortement contrebalancée par les exigences financières toujours plus fortes de la distribution auprès de leurs fournisseurs. La  problématique de marge d’un producteur en France est bien réelle, car nos produits sont directement en concurrence avec des produits fabriqués  à l’étranger donc à un cout inférieur ce qui leur offre une flexibilité plus grande que nous pour accepter des baisses de tarif. On ne retrouve pas en France aussi sytématiquement qu’à l’étranger un avantage donné par les distributeurs aux marques nationales.

Vous avez grâce à votre nouveau produit phare, la chaussette de ski GelProtech, été lauréat de l’ISPO Award en Février 2018 Segment Snowsports, Catégorie Protection. Est-ce une reconnaissance internationale supplémentaire pour consolider votre développement à l’export ?

Nous avions commencé la démarche de prospection à l’export dès septembre 2017 sur ce produit, avec de très bons retours. Gagner l’ISPO Award est en effet un élément de crédibilité additionnel, qui permet de conforter notre positionnement auprès de nos actuels et futurs distributeurs. Cette distinction permet de gagner en visibilité sur la scène internationale. A titre de comparaison, si je peux me permettre de remettre cela dans un contexte sportif et footballistique, notre équipe jouait auparavant en division nationale, l’ISPO Award nous a fait entrer dans la Champion’s League !

Travaillez-vous uniquement en interne pour innover tout en restant compétitif, ou parfois en mode collaboratif avec d’autres partenaires ? L’échange est-il essentiel pour avancer ?

Il est fondamental d’échanger, de fonctionner un peu « comme une éponge ». Veiller, écouter, apprendre, c’est tout cela qui permet de trouver les informations pertinentes pour faire naître des idées dans un premier temps, mais également de les transformer en produit réel dans un second temps. Les interlocuteurs sont aussi importants dans la phase de générations des idées que dans la réalisation concrète des projets.

Au-delà de nos partenaires traditionnels de type fournisseurs, écoles, centre technique, pôle de compétitivité, nous sortons aussi parfois des sentiers battus. Pour exemple, au lieu de fonctionner avec une société spécialiste des tests, nous avons choisi de travailler en collaboration avec des podologues chez qui nous avons pu faire tester certaines de nos chaussettes, au plus près du consommateur final. Autre exemple, nos chaussettes dédiées au secteur de l’industrie sont actuellement testées en conditions réelles par des employés utilisateurs de chaussures de sécurité au sein d’un grand équipementier de la région.

Le mode collaboratif peut se révéler très efficace, pour autant que les équilibres soient respectés, et qu’il y ait un leader capable d’ouvrir la voie au groupe, et de générer une dynamique positive. Savoir où l’on veut aller est une condition nécessaire au succès de tels projets, si l’on veut que l’innovation ne reste pas qu’un beau projet « intellectuel » mais qu’elle se réalise et qu’elle soit économiquement intéressante et pérenne.

On connait le transfert qui s’effectue très souvent entre technologies du secteur médical et celles du sport, comme dans le domaine de la compression par exemple. Le médical s’oriente actuellement vers des produits connectés pour un monitoring approfondi, quel est votre avis sur l’intérêt de type de produits « intelligents » ?

L’intérêt d’un produit est proportionnel au besoin que l’on en a ! Et dans le domaine du médical, il me semble qu’il existe en effet un réel besoin pour ce type de produits plus intelligents, plus connectés, facilitant le monitoring au quotidien des patients.

Dans le domaine sportif, si les technologies semblent intéressantes, cela reste encore très souvent conceptuel, et les besoins de sont pas clairement exprimés par les clients à l’heure actuelle. Nous n’avons pour notre part pas de ressources à consacrer aujourd’hui prioritairement sur des produits « smart », mais nous restons bien entendu attentifs à l’évolution du marché.

Quelles tendances de fond pourraient selon vous marquer profondément votre secteur d’activité durant les prochaines années ?    

Le regroupement et la concentration de la distribution est un facteur qui impacte fortement notre activité. Il existe toujours un rapport de force dans les relations commerciales, et ce mouvement de fond renforce le poids de nos interlocuteurs. Etre proactif et proposer des produits innovants permet toutefois d’équilibrer ce rapport de force, si l’on arrive à développer les produits demandés et répondant à des besoins exprimés ou latents. Pour exemple, notre nouvelle gamme de chaussettes de randonnée fabriquées en laine mérinos rencontre un vrai succès, autant qu’un produit vraiment disruptif comme la chaussette GelProtech.

Côtés produits, je pense qu’il y a une tendance de fond vers un mixité des matières, une combinaison de matières textiles et d’autres matières, comme le gel silicone mais aussi des fils conducteurs d’électricité, du carbone, etc pour obtenir des produits plus efficaces, plus performants.

Ceci est lié à une polarisation du marché de plus en plus marquée, et être dans le milieu de gamme n’est pas intéressant économiquement. Il est nécessaire de pouvoir gagner de l’argent soit avec du volume (segment bas de gamme), soit sur la marge (haut de gamme). Et c’est l’innovation permet d’améliorer la marge.

Propos recueillis par N. Righi – Mai 2018