Mode in Textile

Interview: Chrysoline de Gastines, Dirigeante de Balzac Paris

Souvent présentée comme la « marque littéraire» de la mode française pour ses références aux grands écrivains, son esprit bohème et un chic discret et affirmé,  Balzac Paris propose des collections  de vêtements et accessoires pour femmes, renouvelées tous les mois et uniquement disponibles en ligne.

Lancée officiellement en 2014 dans le sillage des « Digitally Native Vertical Brands » et des business model « direct to consumer », Balzac Paris a récemment annoncé avoir doublé son chiffre d’affaires en 2018 pour atteindre les 8 millions d’euros. Une belle consécration et une motivation supplémentaire pour tenir la promesse faite aux clientes : un engagement responsable, un esprit communautaire fort, des basiques revisités de qualité, et des collections régulièrement renouvelées de façon raisonnée.

Co-fondatrice de Balzac Paris, Chrysoline de Gastines gère la marque avec ses deux associés Charles et Victorien, puisque l’aventure entrepreneuriale est finalement issue de leur histoire d’amitié et de famille. Elle donne également le ton sur l’ADN de la marque en tant que directrice artistique, et parle avec fierté de la communauté des clientes Balzac Paris qui partagent ses valeurs autour d’une consommation plus responsable.  Elle revient avec nous sur les forces et les challenges de la marque, et sur son engagement authentique, réfléchi, souvent difficile à mettre en œuvre mais toujours porteur de satisfaction, et qui a conquis le cœur de milliers de clientes en quête de sens.

L’ADN de la marque Balzac Paris résonne aussi une revendication affichée : faire la Mode Autrement. Alors, au quotidien comment faites-vous « autrement » ?

Balzac Paris envisage une mode différente de ce que peuvent proposer les grandes marques installées dans le paysage économique depuis plusieurs années, sur le principe d’une forte accélération du rythme des collections et de ce que l’on appelle aujourd’hui la « fast fashion ».

Cependant, il s’agit pour nous non pas de stigmatiser ces marques comme des exemples à ne pas suivre mais justement de faire évoluer les choses dans leur sillage puisqu’aujourd’hui plus aucune parque de mode n’a le choix d’aller ou non vers plus de responsabilité, et profiter des voies d’innovation qu’elles sont capables de dégager et de promouvoir, bénéficiant d’une capacité de financement que nous n’avons pas notre échelle. Si Zara ou H&M, pour ne citer qu’elles, décident de miser sur des tissus innovants ou de nouvelles technologies textiles, cela rend par la suite l’accès à ces innovations beaucoup plus facile pour de plus petites marques comme Balzac Paris.

Notre objectif est donc de proposer une nouvelle collection par mois, avec pour objectif de fidéliser une clientèle en quête de changement et de nouveautés, car elle a été habituée à cela, mais avec une chaîne de fabrication raisonnée. Il n’y a pas de surproduction ni de surconsommation, nous cherchons en permanence le point d’équilibre en travaillant sur notre base de données clients. Ainsi, les produits sont fabriqués quasiment à la demande, en petite quantité d’abord, cette quantité augmentant ensuite en fonction du nombre de nos clientes, et de la manière la plus responsable possible, aujourd’hui à 93% en Europe, majoritairement au Portugal et en Italie.

C’est notre idée de la mode faite Autrement, responsable, raisonnée, et raisonnable.

Comment vous assurez-vous de la parfaite traçabilité de votre chaîne d’approvisionnement ?

Principalement en allant rencontrer nos partenaires et visiter régulièrement les usines.

Notre principale usine de fabrication et partenaire historique est basée au Portugal. Nous avons commencé à travailler avec elle, elle nous a fait confiance, et elle a eu raison puisque nous avons « grandi ensemble » en termes d’augmentation de chiffre d’affaires et de création d’emplois. Balzac Paris est devenu un client important pour elle, la relation de confiance est bien réelle, et le partenariat inscrit dans la durée.

C’est aussi en cela que nous sommes un acteur responsable. Notre objectif n’est pas au final d’aller délocaliser l’activité en Chine pour accroître notre marge comme peuvent l’envisager font d’autres marques.  L’idée est de s’inscrire dans un cycle de développement vertueux pour chacune des parties.

L’activité de cette usine partenaire est en croissance en partie grâce à l’évolution de notre marque, elle va même construire une extension de son usine, et ainsi embaucher de nouveaux collaborateurs. Nous mettons à un point d’honneur à s’assurer ainsi de la qualité de cette chaîne de production raisonnée, sans zones d’ombre, pour proposer un produit parfaitement traçable à nos clientes.

La croissance de votre activité a été importante ces dernières années, alors même que le secteur de la mode a connu des périodes difficiles. Quelle difficulté avez-vous principalement rencontrée pour assurer le développement de la société ?

A la genèse du projet nous étions de parfaits autodidactes dans le domaine du textile-habillement, la première difficulté a donc été d’identifier et de trouver des usines capables de fabriquer nos produits selon nos exigences de qualité, et de durabilité. Instaurer la confiance alors même que la marque n’étant pas connue s’est avéré un véritable chemin de croix.

Notre chance a été de rencontrer notre partenaire au Portugal. Et si nous étions au départ positionné sur le « fabriqué en France », il s’est rapidement avéré que travailler uniquement avec des entreprises françaises était également parfois compliqué, notamment en termes de coûts.

Très vite nous avons constaté que pour nos clientes une fabrication européenne n’était pas du tout rédhibitoire face à une fabrication française, elles sont même  très à l‘aise avec cela à partir du moment où la promesse, le sourcing, et la qualité du produit sont cohérents.

Un de vos engagements majeurs est ce que vous avez baptisé la dynamique « T.P.R » (Toujours Plus Responsable) , pouvez-vous nous en dire un peu plus ?  

Si notre engagement responsable est authentique, nous ne nous revendiquons pas « puristes » car, par nature, nous produisons des vêtements ayant forcément un impact plus ou moins grand sur notre environnement.  Malgré tout, notre objectif est bien de « toujours mieux faire », d’apprendre de nos erreurs, de les corriger et de s’améliorer en permanence.

Un exemple d’amélioration que nous avons souhaité apporter à nos produits est celui de l’utilisation de la viscose. Auparavant plébiscitée chez Balzac Paris pour son beau tombé, sa belle impression, sa douceur au toucher, nous avons pris conscience que le procédé de fabrication de la viscose conventionnelle était loin d’être écologiquement responsable.  Notre décision a donc été radicale, en éliminant à 100% la viscose de nos collections, au profit de la fibre Tencel plus responsable. Autre exemple de notre dynamique TPR, notre nouveau pull en coton certifié GOTS est lui fabriqué en Inde, car nous y avons trouvé un partenaire capable de nous assurer la parfaite traçabilité de la matière. Nous proposons par ailleurs régulièrement des collections fabriquées à partir de nos chutes de tissus.

D’autres initiatives ont été prises, comme le tannage végétal, le cuir biodégradable, l’utilisation de coton bio, du denim traité par délavage laser… Il s’agit vraiment d’un travail au quotidien, partagé par toutes les équipes au sein de la marque. Chacun a dans son esprit qu’être une marque responsable cela se vit aussi en interne. Si nous créons un ou participons à un évènement de communication, nous cherchons par exemple des partenaires responsables, jusqu’au traiteur zéro déchets !

La marque revendique aujourd’hui plus de 200 000 abonnés sur Instagram ; pour une marque « digitally native » comme Balzac Paris, est-ce toujours absolument essentiel de pouvoir communiquer au plus près des clientes?   

Nous nous sommes lancés en 2014, à cette époque l’algorithme d’Instagram n’étant pas aussi évolué et restrictif qu’aujourd’hui en termes d’accès pour les nouveaux abonnés. Il était donc plus facile et plus rapide qu’aujourd’hui de faire connaître une petite marque par ce moyen, nous en avons donc bien évidemment profité.

Instagram est vraiment indispensable, car avec lui c’est tout un univers de marque qui devient cohérent. C’est un outil exceptionnel si l’on reste authentique et vrai dans la démarche.  Balzac Paris est finalement, avec le temps, devenu plus qu’une marque, c’est presque une philosophie de vie et nos clientes sont elles aussi cohérentes dans leurs choix de consommatrices responsables, que ce soit pour leurs vêtements mais aussi pour les produits de beauté ou la nourriture.

Nous sommes entrés dans une ère de changement, le consommateur évolue, devient plus éduqué, plus responsable, devient acteur de ses choix de vie. Il attend d’une marque un échange, qu’elle soit à l’écoute de ses envies et de ses besoins, qu’elle soit aussi dans le dialogue et l’amélioration continue, dans la transparence et la sincérité. C’est que nous essayons de proposer au quotidien à notre communauté de clientes, car c’est ce qu’elles recherchent aujourd’hui en boutique ou sur internet.

Pour quelles raisons choisir de miser sur les collaborations bien ciblées avec d’autres marques de mode, d’accessoire, voire de lingerie, pour promouvoir Balzac Paris ?

Collaborer permet avant tout pour chaque partenaire de se de se faire connaître auprès d’autres communautés et d’unir les forces. Les retombées dans la presse sont intéressantes car celle-ci est particulièrement attentive à toutes les collaborations entre marques.

Avec des partenaires ayant le même ADN que nous, cela permet de nous tester sur des segments de marchés sur lesquels nous ne sommes pas encore positionnés. Cela peut être le cas avec les maillots de bain par exemple.

Se faire rencontrer des univers différents, parfois très marqués, augmente la créativité, stimule les équipes pour mieux satisfaire une clientèle très sensible aux nouveautés. Le bon mix & match est à trouver à chaque fois, pour trouver le bon équilibre. C’est pourquoi nous ne multiplions pas non plus à outrance ces collaborations, nous en proposons en général une par saison, comme avec La Redoute pour la saison printemps-été 2019 par exemple, qui permettra de proposer notre univers à des prix peut-être plus accessible à une clientèle élargie.  Cela s’inscrit aussi dans la logique responsable des Galeries Lafayette (propriétaire de La redoute), dans le cadre de leur initiative Go For Good.

Autre nouveauté de la saison printemps-été 2019, nous allons proposer avec Maison Lejaby une collaboration autour d’un imprimé exclusif spécialement développé pour l’occasion, repris sur une dizaine de pièces de prêt-à-porter de Balzac Paris et sur autant de sous-vêtements de Maison Lejaby.

Tout cela est positif puisque les collaborations permettent de faire vivre les collections existantes tout en répondant au besoin de nouveauté et de changement de nos clientes.

Qu’est-ce qui vous surprend dans l’univers de la mode ?

Dans l’univers de la mode, nous sommes obligés de faire bouger les lignes. Mais si les innovations vont vite dans le prêt-à-porter, ce n’est pas forcément le cas dans l’accessoire. Le consommateur a un encore un comportement parfois paradoxal, entre l’envie de changer pour des produits plus responsables et l’envie d’acheter un produit en cuir qui a vraiment l’aspect du cuir animal. Cela est souvent encore à la fois difficile à proposer avec les nouvelles matières alternatives et des process industriels qui restent encore traditionnels.

L’afflux d’innovations existe, et nous restons à l’affut, surtout en termes de matières. Si cela reste passionnant de découvrir tout l’éventail des possibilités, nous restons aussi prudents car le rendu d’un nouveau produit est parfois surprenant. Par exemple, nous avons développé de très jolies chaussures avec du «cuir» d’ananas mais visuellement sur un sac à main ce n’était pas du tout convaincant !

Des chimistes développent aux quatre coins de la planète les pépites de demain, et ça sera peut-être génial mais un cheminement industriel est encore nécessaire. Le challenge est également de toujours trouver le bon équilibre : lancer une innovation durable sur un marché et la rendre industrialisable c’est parfait, encore ne faut-il pas tomber dans le piège de la proposer à outrance et de recréer un schéma de consommation peu responsable pour la planète…

Il est difficile d’être responsable, c’est réellement un défi permanent ! Rien n’est simple pour être parfaitement cohérent, à la fois économiquement viable et transparent, mais l’objectif est clair, et c’est ce qui fait tout le sens d’une marque engagée pour l’avenir.

Propos recueillis par N. Righi – Avril 2019

Photos: Balzac Paris