Mode in Textile

Interview: Camille ZAMO, Dirigeante d’ARCHIDUCHESSE

Si certains se demandent encore si « les chaussettes de l’archiduchesse sont sèches », d’autres portent déjà fièrement leurs chaussettes Archiduchesse aux pieds !

Peut-être avez-vous choisi une paire de chaudes Scarlet O’lala, enfilé une paire de Chauchons gris, misé sur votre paire de Sportifs du Dimanche bleues, déclamé votre amour des chaussettes avec les théâtrales et colorées Orange Ô Désespoir ou revendiqué votre engagement environnemental jusqu’au bout des pieds avec vos Grisnelle De L’environnement…Née en 2009, la marque française Archiduchesse propose en effet des chaussettes aux noms poétiques qui leurs donnent un petit supplément d’âme sur un marché de masse envahis de produits de première nécessité et anonymes. Mais derrière ces chaussettes à forte personnalité se cachent avant tout des produits de grande qualité, entièrement fabriqués en France dans les ateliers de Broussaud Textiles, partenaire historique de la marque.

A la tête de l’entreprise depuis 2017, Camille Zamo est fière de pouvoir assurer à ses clients la traçabilité de cette fabrication. Le partage et le mode collaboratif est au cœur de cette petite marque qui vend ses gammes quasi exclusivement en ligne, et qui dynamite les codes de la chaussette pour en faire un produit ludique et durable. A l’instar d’autres produits cachés comme les sous-vêtements, Archiduchesse revendique également le fait de porter une chaussette française comme premier soutien à la préservation de savoir-faire textiles, au maintien d’une économie locale et des emplois sur le territoire, et à la fabrication de produits innovants, de qualité, et durables à l’usage. Des produits qui deviennent depuis peu réellement circulaires, avec une nouvelle proposition de matières recyclées issues des déchets de production des chaussettes. Camille Zamo a accepté de nous présenter ce qui fait l’ADN d’Archiduchesse, les challenges relevés, et ses ambitions pour la marque.

Le secteur textile habillement est depuis plusieurs années en difficultés. Pourquoi avoir choisi d’investir dans l’aventure Archiduchesse, positionnée sur le marché très concurrentiel du chaussant ?

Bien avant que je ne reprenne la marque, je suivais déjà Archiduchesse car j’été fascinée par le choix dès 2009 de son positionnement en tant que « pur player » ne vendant que des chaussettes made in France sur internet. A cette époque, c’était très nouveau. Les médias de parlaient pas de fabrication française, le Slip Français n’existait pas, c’était donc déjà un pari audacieux. Je travaillais pour ma part dans l’univers du luxe, et plus particulièrement sur le développement digital. Je rencontrais certaines barrières sur ces projets, et j’avais envie de me lancer dans l’entrepreneuriat, d’évoluer à ma manière. En 2017, ayant découvert qu’Archiduchesse recherchait un gérant ou un repreneur, je me suis intéressée au sujet, même si quitter le monde du luxe pour intégrer l’univers de la chaussette était loin d’être une évidence !

En étudiant tous les aspects du projet, il s’est avéré que les opportunités de développement étaient assez remarquable, avec de nombreux chantiers sur le digital, un énorme potentiel sur le e-commerce mais également sur le développement produit. Enfin, des valeurs communes existaient entre l’univers du luxe dans lequel j’évoluais et Archiduchesse, particulièrement sur la mise en valeur des savoir-faire, la fabrication française, et le côté mode bien entendu.

Quelles principales difficultés avez-vous pu rencontrer pour assurer le développement de la marque ?

La vie d’une petite entreprise en croissance est faite de hauts et de bas. Une des premières difficultés à laquelle j’ai dû faire face était que la belle croissance d’Archiduchesse n’était basée, à ses débuts, que sur le bouche-à-oreille. Lorsque j’ai repris la marque, aucune publicité n’était faite puisque le référencement naturel était bon, la base de clients assez importante, et les tarifs pratiqués avantageux. Néanmoins, le trafic sur le site web commençait à baisser face à la montée en puissance de la concurrence. En effet, il y a très peu de barrières à l’entrée sur le marché de la chaussette. C’est un produit qui ne coûte pas très cher, et s’il y a encore quelques spécialistes en France, il y a surtout des fabricants à travers le monde qui vendent à des prix très compétitifs. Nous n’arrivions plus à nous en sortir de manière naturelle, nous avons donc débuté les campagnes de publicité payantes, ceci ayant un impact immédiat sur le prix de vente des produits. Même si notre force est de pouvoir proposer des prix accessibles, puisque nous n’avons pas de boutiques par exemple, donc pas de charges additionnelles, cela a quand même été un grand chamboulement pour notre business model.

Aujourd’hui, ou tout au moins depuis plus d’un an, la problématique est très différente : c’est la très forte augmentation des coûts de production, c’est-à-dire des matières premières, de l’énergie ou encore du transport, qui impacte négativement les marges, alors qu’elles nous sont nécessaires pour vivre. Il est probable que nous soyons dans l’obligation d’augmenter nos tarifs d’ici la fin de l’année. C’est un vrai sujet d’inquiétude, car dans notre ADN est inscrite la capacité à proposer une qualité française à des prix accessibles. Or nous devons pratiquer un prix de vente qui nous permettent de nous en sortir et de bien rémunérer nos fournisseurs.

La pédagogie est d’ailleurs de plus en plus importante afin d’expliquer à nos clients les raisons d’une hausse de prix. Nous avons choisi d’afficher sur notre site web le détail des coûts de production de nos articles, et de communiquer de la manière la plus transparente possible. Néanmoins, même si le consommateur comprend en partie les hausse de prix, le chemin est parfois encore difficile vers l’acceptation d’une telle démarche.

Un « vestiaire raisonné » est proposé chez Archiduchesse. Pourquoi avoir développé cette nouvelle offre autour d’un vestiaire complet, intégrant les sneakers et même les espadrilles ?  

En 2019, nous avons souhaité nous engager vers plus d’éco-responsabilité en utilisant un peu plus de matières recyclées, et cela a marqué le début de cette réflexion vers un vestiaire raisonné. L’idée de la basket nous trottait dans la tête depuis longtemps, avec l’idée de pouvoir compléter le look avec la chaussette. Par ailleurs, nous sommes très à l’écoute de nos clients, et ceux-ci nous demandaient certains développements. Avançant dans cette idée d’une démarche plus éco-responsable, nous avons alors imaginé une gamme de produits intemporels, durables, recyclés ou bio, et fabriqués en France. Le vestiaire raisonné est donc un mix de nos envies et de celles de nos clients, et une réponse aux changements des habitudes de consommation ces dernières années. Car de nos jours, à l’instar de ce qui peut se passer dans l’alimentation, le consommateur veut savoir de quoi est composé le produit qu’il achète, mais aussi d’où il vient. Le virage vers la transparence et la traçabilité a été considérablement accéléré.  Dans cette logique, et parce que la chaussette est un produit du quotidien, notre vestiaire fabriqué en France devait faire partie de la vie des gens. Lorsque l’on commande des chaussettes en ligne, c’est finalement très simple de compléter cet achat par des sous-vêtements, surtout pour des boxers et caleçons hommes par exemple. Et cela tombe bien puisque nous avons des fabricants en France ! En a émergé ensuite l’idée du t-shirt à porter tous les jours, un basique de qualité et intemporel.

Quant à la basket raisonnée, elle est le résultat de deux années de travail. A noter qu’elle a profité de la période de confinement, durant laquelle nous avons pu nous concentrer sur ce projet et tester la basket! L’objectif que nous souhaitions atteindre était de proposer une basket blanche assez classique mais rehaussée de marqueurs rouges et bleus afin de rappeler la fabrication française, le tout en matières recyclées. Autant dire que le fabricant qui nous a reçu la première fois nous a bien signifié que le pari était quasi impossible à relever ! A l’époque, les matières recyclées n’étaient en effet pas ou peu travaillées, il y a donc eu une longue étape de recherche et développement chez notre partenaire La Manufacture 49. Par exemple, la première matière testée au porter a craqué au bout d’une semaine ! Ce projet lourd et intense a été enrichissant pour chacune des parties, et a permis au fabricant de se lancer sur dans les matières éco-responsables comme les recyclées mais également les alternatives végétales au cuir animal.

Comment s’effectue le choix des partenariats avec les fournisseurs, la sélection des matières utilisées ?

Concernant les matières, c’est une nouvelle fois une histoire de collaboration. Lorsque nous avons par exemple émis le souhait de proposer des produits en matière recyclée, nous avons fait confiance à Broussaud Textiles qui nous a mis en relation avec plusieurs fournisseurs pour tester et choisir ce qui correspondait le mieux à nos besoins. C’est une étape qui a malheureusement mis en lumière le manque de ressources recyclées en France, car hormis la Filature du Parc, qui ne proposait pas en 2019 de matières correspondant à notre propre cahier des charges, nous n’avons trouvé à l’époque aucun fournisseur sur notre territoire. Nous avons dû échanger avec un fournisseur espagnol pour rester sur un circuit court. Alors que notre basket est fabriquée à partir de matières recyclées, mais aucune ne vient à l’heure actuelle de France.

L’engouement autour des matières éco-responsables est bien réel en France, mais les difficultés demeurent autour du sourcing. De la même manière, la réimplantation de filatures de lin en France annoncée depuis années semble se concrétiser, et c’est une excellente nouvelle. Maintenant, il nous faut connaître le prix de vente qui sera pratiqué pour ce fil de lin, et s’il sera accessible à l’ensemble des marques qui souhaitent renforcer et/ou pérenniser leur fabrication nationale ! Nous serions ravis de pouvoir intégrer le lin français dans notre vestiaire, dans un t-shirt ou dans une paire d’espadrille, mais cela implique que le prix d’achat de cette matière soit abordable afin que nous puissions rester dans une gamme de prix accessibles.

Le salon Made in France by Première Vision est une excellente occasion de rencontrer les fournisseurs français. C’est d’ailleurs sur ce salon que nous avons eu nos premiers échanges avec La Manufacture 49. Concernant les espadrilles par contre, c’est un peu différent. Nous souhaitons proposer un produit estival, complémentaire des ventes assez saisonnières de la chaussette. Or les tongs ou les sandales ne sont pas fabriquées en France. L’espadrille s’est donc imposée assez naturellement puisque présente sur le territoire, confortable, et accessible en termes de prix. Nous avons effectué une recherche de fabricants, et contacté directement une usine autour de ce projet.

A noter, puisque nous avons précédemment parlé des problématiques rencontrées par les entreprises, que le manque de personnel et les difficultés à recruter sont des éléments qui freinent actuellement la croissance. Plusieurs usines peinent à séduire les talents car souvent localisées dans des régions un peu isolées, ou proposant des missions incluant des tâches manuelles difficiles par exemple. De nombreux ateliers ne peuvent travailler à plein régime et annoncent des retards de livraison par manque de collaborateurs.

Comment est née l’idée du projet Re-née, votre chaussette fabriquée à partir de déchets textiles recyclés ?  

L’histoire de Re-née a débuté lorsque nous avons commencé à développer une matière recyclée avec Broussaud Textiles en 2019. Eux-mêmes sont très impliqués dans l’éco-responsabilité puisque, dans une usine, il y a énormément de déchets de production. Et en période de forte croissance, le constat est clair : plus le volume de chaussettes fabriquées augmente, plus le volume de déchets de production augmente également. Ce sont donc eux qui sont à l’initiative de la démarche du recyclage des déchets textiles, principalement des déchets de fils et de chaussettes.

De notre côté, nous les avons accompagnés dès le départ car nous sommes sur la même longueur d’onde sur ces sujets-là. Cela a été assez long à mettre en place car le process est complexe. Aujourd’hui, Broussaud Textiles récupère ses propres déchets de production et les envoie à la Filature du Parc, qui sur ce projet en particulier a été en mesure, après plusieurs essais, de leur proposer un fil issu en majeure partie de leurs déchets, avec évidemment un peu d’élasthanne selon les besoins, mais surtout avec la finesse que nous exigions pour nos chaussettes. Les bobines de fils sont ensuite renvoyées chez Broussaud Textiles qui fabrique les chaussettes. Voilà comment est née notre toute nouvelle Re-Née, la chaussette qui « Re-Née de ces propres cendres » !

La communication sur les engagements RSE des entreprises est en croissance. Quels sont les grands axes environnementaux et sociaux inscrits dans le développement d’Archiduchesse ?

Un des grands marqueurs de notre ADN est directement lié à notre engagement social et environnemental. En effet, nous soutenons la fabrication locale et les circuits courts. A notre échelle, nous essayons de porter une grande attention aux choix de nos partenariats et à la préservation des savoir-faire présents sur le territoire. Le respect du droit du travail au sein des ateliers de nos fournisseurs est fondamental, pour que nous  puissions construire une relation sereine et de confiance dans le temps. C’est évidemment, à priori, plus simple puisque nous ne faisons fabriquer nos produits qu’en France, néanmoins cela passe par exemple par une juste rémunération mais aussi par la sécurisation de leur activité. Nous veillons ainsi à ne pas être leur seul client, afin de limiter leur risque si nous devons faire fortement varier nos volumes de commandes.

Une autre action importante, que nous permet le format de nos produits, est de ne pas faire de surproduction. Aujourd’hui, 80% de notre offre est constituée de produits permanents. Proposés toute l’année, ils ne nécessitent pas d’opérations de déstockage. Les quatre collections que nous lançons par ailleurs chaque année sont quant à elles fabriquées en microquantités afin d’éviter de générer des stocks d’invendus. Nous évitons également, de manière générale, les déchets à chaque étape de notre activité jusqu’à la livraison puisque nous n’emballons pas les produits dans des polybags mais dans du carton recycable. Nous proposons même une option « zéro déchets » lors de la commande, sans flyers ni goodies si le client souhaite.

Enfin, Archiduchesse a initié il y a déjà plusieurs années une initiative de récupération des chaussettes orphelines afin de leur donner une seconde vie, basée sur le constat que nous donnons relativement facilement des vêtements de dessus mais pas de sous-vêtements ni de chaussettes, alors que les personnes en difficultés en ont également besoin. Nous travaillons avec l’association Sock en stock basée dans le Nord, qui récolte tous ces produits et les redistribue à des associations humanitaires.  Elle fait un énorme travail de sensibilisation auprès des marques, et nous faisons aussi des dons de produits.

La transparence fait donc partie de notre ADN. Depuis le début de l’aventure, le partage des informations est important auprès de la communauté, des clients, des fournisseurs. A chaque fois que nous en avons la possibilité, nous essayons d’aller un peu plus loin. Depuis l’année dernière, la décomposition des coûts est ainsi disponible pour chaque page produit du site internet, complétant ainsi les informations sur les lieux de fabrication et la composition. Nous l’avons évoqué plus tôt, c’est une communication essentielle pour que nos clients comprennent l’impact de l’augmentation du prix des ressources comme c’est actuellement le cas.

Nous avons par ailleurs la chance de travailler avec certains ateliers labellisés Origine France Garantie, comme c’est le cas pour Broussaud Textiles, mais aussi pour Lemahieu qui fabrique nos t-shirts et boxers, ou pour la Manufacture 49. Cela nous permet de garantir la provenance française de ces produits auprès de nos clients. A l’heure où il est difficile pour eux de de savoir quelles étapes ont réellement été réalisées sur le territoire, nous devons nous différencier au milieu des marques qui se permettent d’afficher des drapeaux tricolores alors que seule la création est française parfois.  Pouvoir afficher ce label est important car c’est un moyen de contrer, à notre niveau, cette publicité mensongère même si cela reste un vrai problème. Notons qu’il y a un espoir à ce niveau avec l’évolution des lois, et notamment avec de nouvelles obligations d’affichage qui se profilent pour 2023.

Quelles ambitions avez-vous pour Archiduchesse pour les années à venir ?

Continuer à faire ce que l’on sait faire, le mieux possible ! L’objectif est de devenir leader sur notre secteur de la vente en ligne de chaussettes, et pour l’atteindre, proposer une offre la plus large possible pour répondre à l’ensemble des demandes grand public.

Notre ambition n’est pas de développer des gammes spécifiques de chaussettes de sport par exemple, ceci n’est pas notre cœur de métier, mais nous restons ouverts aux développements en dehors de la chaussette. Nous travaillons depuis deux ans sur un nouveau produit, que nous espérons pouvoir lancer dès l’hiver 2022. Restez connectés pour en savoir plus!

A titre personnel, avez-vous une marque « coup de cœur » ?

J’aime beaucoup toutes les initiatives des jeunes marques et start-ups qui se créent en intégrant directement l’éco-responsabilité au cœur de leur business model pour essayer d’en faire un modèle économique vertueux. La marque française de vêtements outdoor Picture en est pour moi la parfaite représentation. Créée il y a une dizaine d’années sur une nouvelle approche de la fabrication des produits outdoor, basée sur l’intégration de matières recyclées et éco-responsables et permettant de mieux respecter l’environnement, elle était à l’époque pionnière de ce mouvement. Tout est perfectible bien entendu, et si la marque est particulièrement efficace sur l’intégration de nouvelles matières inédites et plus vertueuses, elle ne fabrique malheureusement pas en France mais cherche à relocaliser la production de certains de ses produits, à améliorer en permanence ses process. Elle propose à l’ensemble de ses collaborateurs une vraie mission et un engagement clair. J’admire beaucoup cette marque qui a su bouleverser les codes de son secteur et être leader d’un mouvement éco-responsable en France.

Propos recueillis par N. Righi – Juin 2022