Mode in Textile

Interview: Benoît Neyret, Dirigeant du Groupe Neyret

Faire de sa PME française le numéro un mondial de l’ornementation et identification textile / multi-matériaux des produits de luxe, c’était l’une des ambitions de Benoît Neyret, PDG du Groupe stéphanois NEYRET concepteur et fabricant depuis 1823 de rubans et d’étiquettes textiles destinés à l’univers du luxe, de la mode, ou encore de l’évènementiel.

Cet objectif vient d’être atteint avec la récente acquisition de 100% de la société SERAM et de ses filiales. Le groupe Neyret ainsi consolidé réalisera près de 40 Millions d’Euros de chiffre d’affaires annuel et emploiera plus de 800 personnes dans le monde. Une très belle réussite pour le groupe français !  Mais au-delà d’une ambitieuse politique de croissance et d’une stratégie d’innovation maîtrisée, Benoît Neyret est également un dirigeant fortement engagé qui souhaite donner les moyens à cette nouvelle entité de poursuivre mais aussi d’accentuer ses efforts en matière de responsabilité sociale et environnementale.

Pionnier du numérique, le groupe bénéficie par ailleurs de savoir-faire variés de haute précision permettant de répondre aux besoins de ses clients en produits sur-mesure, avec créativité, agilité, tout en garantissant la traçabilité tout au long des chaînes logistique et de production. Benoît Neyret revient pour nous sur les éléments fondateurs de la croissance de son Groupe, et sur les défis à relever dans les années à venir.

Le groupe Neyret se définit comme « Tisseur d’innovation ». Aujourd’hui, pas de pérennité d’entreprise sans innovation, comment celle-ci traduit-elle au quotidien dans le Groupe ?

Être capable d’innover est absolument fondamental afin de s’adapter au marché, d’évoluer selon les besoins de nos clients, et de pouvoir pérenniser et développer notre activité. Notre stratégie d’innovation, qu’elle soit privée ou   collaborative, s’appuie sur deux piliers essentiels : en premier lieu, les matériaux écologiques bien évidemment, que cela concerne l’univers du packaging, les produits de luxe ou l’ident²ification des vêtements ; mais également les solutions numériques et immatérielles, pour tout ce qui concerne la personnalisation, l’authentification et la traçabilité des produits. Pour exemple, dans le domaine des innovations numériques, nous mettons à disposition des marques une plate-forme logicielle d’étiquetage, et proposons par ailleurs l’intégration de technologies RFID ou NFC dans les produits.

L’innovation est étroitement combinée aux savoir-faire du Groupe Neyret issus du textile, principalement le tissage et l’impression.  Ces savoir-faire seront donc complétés par ceux de la société Seram, notamment tout ce qui consiste à faire plus de façonnage manuel, d’assemblage multi matériaux, et l’assemblage de matériaux hors textile. Chez Neyret, la politique d’innovation est par ailleurs étroitement liée à la notion de design, nous avons donc un bureau de style intégré, avec nos propres stylistes et designers qui réfléchissent très en amont au format des produits, aux caractéristiques, aux matériaux, etc.

Un partenariat existe également avec la Cité du Design de Saint Etienne, qui nous permet de travailler de façon ponctuelle avec des designers externes, comme avec François Dumas lors de la dernière Biennale du Textile. Pour réaliser sa structure exposée sur la Tamise à Londres, une passerelle textile intégrant près 1600 m de rubans et nécessitant 2 000 coutures, nous avons mobilisé deux ingénieurs textiles, un designer et quatre couturières spécialisées dans le façonnage haut de gamme durant un mois et demi. Ces types de projets sont non seulement très enrichissants pour nous, mais contribue à valoriser les savoir-faire nationaux et le territoire local.

Mais si l’on considère maintenant une étiquette d’entretien plus « classique », revendiquée comme très utile par une majorité des consommateurs de vêtements, l’innovation viendra d’un plus grand nombre d’informations que l’on pourra rendre disponible pour le client grâce au digital, de tout ce qui permettra  une certaine individualisation de l’étiquette, et donc du produit, et qui pourra raconter son histoire. Cela permettra aussi de rendre l’acte d’achat plus réfléchi, plus responsable ; comme le souhaite de plus en plus de consommateurs.

Etiquetage connecté et interactif, investissement dans la RFID, … Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur ces nouveaux services ? Est-ce le relais de croissance pour le marché de demain ?

Nous sommes des intégrateurs de technologies avec pour objectif de proposer la meilleure solution d’étiquetage globale aux grandes marques de l’industrie du luxe, du prêt-à-porter, et maintenant de la lingerie et du balnéaire pour tout ce qui concerne le textile-habillement. L’étiquetage intelligent est un relais de croissance fort pour notre activité, qui bénéficie de la bonne santé de l’industrie du luxe, et de nos propres développements.  La première étape d’intégration de cette « intelligence » s’est concrétisée grâce un investissement important ces dernières années pour l’intégration et le déploiement de la technologie RFID.

Mais il nous fallait aller plus loin pour avoir cette fois-ci une longueur d’avance, c’est avec cet objectif en tête et  pour répondre aux exigences des marques de luxe que nous avons également développé une gamme de rubans / étiquettes textiles intelligents et connectés mais sans technologie embarquée : nous intégrons à la fabrication dans chaque ruban / étiquette des données unitaires et numériquement sérialisées, ouvrant ainsi le champs des possibles pour les marques en terme de traçabilité, de lutte anti-contrefaçon ou d’application marketing pour développer l’expérience du consommateur. Grâce à ces développements nous avons par exemple développé et lancé il y a quelques mois « My Smartribbon », un ruban textile connecté grâce à un code intelligent et interactif, que le client scanne pour accéder instantanément à du contenu sur un smartphone via une application dédiée. C’est dans ce code que réside notre différence. Le « bleam » est un code intelligent dernière génération, un tag entièrement personnalisable développé par la société UBleam. Basé sur la théorie des cercles en mathématique, cela lui confère un aspect beaucoup plus esthétique qu’un QR code classique, une plus grande résistance aux déformations et donc une meilleure lisibilité sur le textile, des avantages certains que ce soit pour assurer la traçabilité du produit tout au long de la chaîne logistique, ou pour proposer une vraie expérience au consommateur qui pourra interagir individuellement avec la marque.

Pourtant, si le marché s’intéresse déjà à ce type de produits innovant, nous sommes encore dans l’anticipation, entre le marketing d’une offre connectée et économiquement acceptable, et une demande du client qui s’accélère. Une certitude : de notre côté, nous maîtrisons la montée en cadence de la production, en conditions industrielles, du ruban connecté et de l’étiquette intelligente, et nous sommes prêts à répondre aux besoins actuels et futurs du marché. Notre innovation réside ici dans l’intégration d’une technologie existante, concrète et parfaitement maîtrisée.

La digitalisation prend également une place à part entière dans vos process aujourd’hui, permettant une nouvelle flexibilité et une grande réactivité dans la relation client. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur les outils mis en place ?

Il a y encore une vingtaine d’année, la société Neyret réalisait la majeure partie de son chiffre d’affaires en tissant des « griffes » revendues à des fabricants de vêtements. Mais comme d’autres industriels, elle a dû faire faire face aux grandes mutations du secteur textile français. Pour ne pas suivre la voie des délocalisations, il nous a fallu repenser notre stratégie et notre offre, et avons choisi d’investir pour produire l’étiquetage à la source, d’abord avec notre plate-forme logicielle d’étiquetage à disposition des marques françaises, puis avec une approche web-to-print pour aller imprimer l’étiquette directement sur le lieu de travail du confectionneur.

Cela nous a permis de travailler sur la gestion des données numériques variables, au niveau de l’impression dans un premier temps, puis du tissage. Et c’est ce qui nous ouvre la voie vers l’intégration de plus d’intelligence dans les produits, sans nous limiter au prix, à la taille, à la référence et au code-barres. Au-delà de la proximité géographique, nous accompagnons ainsi nos clients quasiment en temps réel. Nous faisons évoluer « l’intelligence » de notre plate-forme logicielle tout en étant capable de produire. Il s’agit vraiment d’une démarche d’amélioration continue, et même d’innovation continue, que nous protégeons soit par des brevets, soit par des accords de protection contractuels dans nos différentes relations contractuelles.

La Responsabilité Sociale des Entreprises (RSE) fait partie des engagements stratégiques du secteur, quels sont les projets ou actions déjà mis en œuvre dans ce domaine chez Neyret Textile ?

Notre plan de développement stratégique est effectivement appuyé sur ce troisième pilier : une politique RSE engagée et porteuse de sens, pour les consommateurs, les marques et les salariés du Groupe.  Pilotée par un directeur de la RSE en France, elle se décline ainsi dans sa thématique sociale, et dans le volet environnemental. Outre la culture sociale de l’entreprise Neyret, j’assure ainsi la présidence d’un groupement de retour à l’emploi pour l’insertion et la qualification, qui permet à des personnes fragilisées de retrouver un emploi grâce à un réseau d’industriels et via des contrats de professionnalisation. Le taux de transformation en CDI à la fin des « contrats pro » est d’ailleurs très élevé. Je suis par ailleurs administrateur du Centre d’action sociale forézien, une association créée en 1943 par des dirigeants d’entreprises de la Loire, et qui propose des prestations d’actions sociales auprès des salariés des entreprises de l’association.

Bien évidemment, la politique managériale au sein du groupe Neyret suit les mêmes principes, à savoir très largement parier sur le savoir-être, et sur la capacité d’une personne à être et à se sentir utile au sein d’un projet collectif indépendamment de son profil. Cela concerne également nos ateliers situés à l’étranger, qui sont très régulièrement audités pour nos clients, de grands noms du luxe, afin de s’assurer du respect des collaborateurs et de la participation au développement économique local des zones dans lesquelles nous sommes implantées. Les audits de l’ensemble de nos fournisseurs tout au long de la supply chain sont très réguliers, et l’ensemble de nos contrats intègre une condition nécessaire de respect des lignes directrices de notre RSE. Enfin, nous sommes déjà certifiés Oeko-Tex®, et nous iront naturellement vers encore plus de certifications dans le cadre de notre stratégie RSE.

La responsabilité environnementale va être renforcée par notre certification 14001 actuellement en cours. Elle s’appuie sur l’innovation, sur des analyses de cycle de vie des produits, et tout ce qui nous permet de proposer des rubans plus éco-friendly : intégration de matériaux biosourcées, biodégradables, compostables, recyclés, mais également de fibres protéiniques, de fibres de bambou, du coton certifié GOTS, de la cellulose, du lin, etc. Il y a un vrai intérêt autour du lin français par exemple, qui permettrait de travailler en circuit court, sous réserve que la structuration en cours de cette filière se confirme. Cela permettrait de répondre à une certaine appétence du consommateur pour le fabriqué en France, qui souhaite avoir plus de lisibilité, de traçabilité, et de redonner du sens à son acte d’achat.

L’acquisition de SERAM a été officialisée le 29 novembre dernier, pourquoi miser sur un tel projet de croissance externe ?

Les deux sociétés sont très complémentaires, en termes de clients et de marchés, de couverture internationale, d’écosystèmes de partenaires, et même de bassin d‘emploi.  Leur association bénéficie aussi d’une alchimie rare entre savoir-faire traditionnels et hautes technologies, avec notamment de fortes capacités d’innovation sur la matière et le numérique.

Ce projet est l’aboutissement d’une rencontre entre deux motivations, celles de deux dirigeants actionnaires de leur projet d’entreprise dans la durée, avec la même culture de l’engagement : Hervé Durand, Président Fondateur de Seram souhaitant se consacrer à d’autres priorités tout en gardant le sens du projet global d’entreprise ; et moi-même, souhaitant transformer le statut de la PME Neyret et lui donner l’envergure qu’une véritable ETI industrielle française. Nous avons échangé, nous étions sur la même longueur d’onde aux vues de nos complémentarités, de nos stratégies RSE, etc. Ce rapprochement s’effectue donc assez naturellement, dans le respect des deux entités, et avec un vrai projet pour l’avenir.

Quelle serait votre usine du futur idéale et quels sont les défis qui restent à relever pour la construire ?

La numérisation doit permettre la montée en compétences des collaborateurs, des opérateurs. Il est fondamental qu’elle soit une source d’acquis professionnels accrus. Elle signifie compétence, l’agilité, et la polyvalence, et cet ensemble représente le moteur de la compétitivité, particulièrement au sein de notre industrie. Cela demande un véritable effort managérial en termes de formation, de mobilisation sur les projets. Cela fait fort heureusement partie de l’ADN de l’entreprise, qui est de porter et d’apporter du sens.

Pour nous qui faisons du sur mesure, nous sommes dans l’obligation d’intégrer plus d’intelligence numérique dans notre outil de production, pour qu’il puisse fabriquer des produits qui finalement ne sont jamais les mêmes, avec des volumes variables, voire parfois non connus ! L’adaptation de notre chaîne logistique et de notre circuit de production est quasiment permanente, et ne peut être réalisée que grâce aux technologies numériques. Mais il est également possible que d’autres process, comme l’impression 3D par exemple, puisse dans les prochaines années venir nous surprendre sur ce terrain !

Propos recueillis par N. Righi -Décembre 2019