Pour répondre aux besoins de leurs clients, les entreprises du secteur du textile et de l’habillement doivent aujourd’hui se concentrer sur l’approche de proximité (nearshoring), l’automatisation, la digitalisation et la durabilité. Selon un récent rapport du cabinet d’études McKinsey Company, la prédominance du “Made in China”, et plus largement du “Made in Asia” pour le marché de l’habillement tend en effet à se réduire. Rapidité de mise sur le marché et réactivité en saison sont plus essentielles que jamais, nécessitant une profonde remise en question des circuits approvisionnements déployés ces dernières décennies.
Selon ce rapport, l’optimisation des procédés de fabrication, de la logistique et l’automatisation permettent par exemple qu’un jean produit au Mexique et mis sur le marché américain puisse être jusqu’à 12% moins cher que s’il avait été fabriqué en Chine. De plus le transport par voie maritime peut prendre 30 jours alors que le transport en provenance du Mexique vers les USA ne prend que 2 jours. Avec l’automatisation des process, la production d’un jean pourrait prendre seulement 11 minutes au lieu des 36 minutes actuelles, avec une production de proximité et plus durable, un impact écologique moindre. En Europe, les coûts unitaires restent nettement inférieurs lorsque l’approvisionnement provient du Bangladesh, mais le transfert de la Chine vers la Turquie est économiquement viable. Les prix d’achat du denim, par exemple, peuvent être inférieurs de 3% lorsqu’ils proviennent de Turquie.
Car c’est bien là que réside tout l’enjeu stratégique d’une réflexion sur la supply chain: elle permet de mieux gérer les risques inhérents à toute activité de production. Et ils sont nombreux: risque économique et financier (volatité des taux de change à l’international, coût du transport…), risque de rupture dans la chaîne de production, ou de surstockage, ou de de retard de livraison, risque en terme d’image et de communication, de contrefaçon, de problématiques de santé et de toxicité (traçabilité des produits chimiques), risque de non-conformité réglementaire, etc.
Au sein de l’entreprise, mais également au sein de chaque sous-traitant et fournisseur de la supply chain, suivi, vigilance et transparence de la chaîne sont donc les piliers nécessaires à sa sécurisation. Des outils existent pour soutenir la volonté des entreprises désireuses de mieux gérer leur circuit d’approvisionnement, notamment à l’international. En voici quelques exemples (inventaire non exhaustif).
La sécurisation par la certification: la proposition d’ OEKO-TEX®
Lancé officiellement en 2015, STePby OEKO-TEX ® est le système de certification indépendant proposé par l’Association internationale OEKO-TEX®. Celle-ci a en effet développé une offre de certification adaptée aux nouvelles contraintes des entreprises, en particulier en matière de durabilité. Spécifiquement élaboré pour la supply chain textile, STeP concerne les marques, les distributeurs et les fabricants. Il permet aux entreprises qui satisfont aux exigences de développement durable de s’engager dans une démarche d’amélioration continue, et de communiquer de manière claire et transparente sur leurs engagements et performances. Synonyme de Sustainable Textile Production, il est utilisé pour certifier les usines de production à toutes les étapes de la transformation, de la production de fibres à la filature et au tissage / tricotage, en passant par les usines de traitement. L’objectif de STeP est la mise en œuvre de « Best Practices » (environnement, éthique, conditions de travail, santé et sécurité du consommateur) pour améliorer les performances des entreprises et bénéficier d’un meilleur positionnement sur le marché.
Made in Green by OEKO-TEX ® est quant à lui un label de traçabilité visible sur les emballages et étiquettes pour le consommateur final, démontrant que les articles sont exclusivement élaborés à partir de matériaux testés et exempts de substances nocives (sur la base des critères du label OEKO-TEX Standard 100), de process respectueux en matière d’environnement, d’usines travaillant dans des conditions sures et socialement responsables. Le label peut être attribué à tout type de produit textile n’importe où dans le monde et à n’importe quel stade de la chaîne d’approvisionnement textile. Grâce au label Made in Green, les marques, les fabricants et les détaillants ont la possibilité de promouvoir leurs pratiques responsables auprès de leurs clients de manière claire sur leurs points de vente.
Enfin, My Step by OEKO-TEX ® est une base de données permettant de suivre et de gérer sa supply chain et de la personnaliser (gestion des certificats, systèmes d’alertes, d’extractions de statistiques, …). Cet outil est également un outil comparatif entre les différents fournisseurs ou partenaires et permet une gestion optimale de la chaîne d’approvisionnement en matière d’indicateurs de performance clés durables.
La sécurisation par la traçabilité des produits: la RFID au premier plan
Dans la lignée de Wal-Mart, Zara, plus récemment H&M, Uniqlo, Célio, et autres, l’objectif de Decathlon est de rapprocher son monde physique d’un monde digital. Pour cela, la société a annoncé un nouvel objectif cette année: l’étiquetage RFID de 100% de ses produits en magasin. L’identification par radiofréquences (RFID) est un acronyme qui regroupe plusieurs technologies différentes avec un objectif commun : identifier de façon unique des objets, des personnes ou des processus en utilisant les rayonnements électromagnétiques . C’est une solution technologique qui permet d’optimiser la gestion unitaire des produits, de les géolocaliser individuellement et d’affiner ainsi leur contrôle, mais aussi de de lutter contre la contrefaçon, et même de développer des usages connectés en magasin.
Une nouvelle étude récemment terminée du laboratoire RFID de l’université d’Auburn et de l’organisation américaine GS1 examine de manière approfondie les processus d’expédition de fournisseur à détaillant à l’aide de codes barres traditionnels et de RFID. “Project Zipper” avait pour objectif d’évaluer les avantages de la technologie RFID pour les détaillants et les marques via leurs processus d’expédition et de réception dans la chaîne logistique, en mettant un accent particulier sur la précision des expéditions des marques aux détaillants. Compte tenu de l’utilisation de longue date des codes à barres et de la maturité des processus impliqués, l’étude prévoyait une grande précision d’expédition. Au lieu de cela, l’étude a révélé que près de 70% des commandes expédiées contenaient une erreur quelque part dans le processus de la chaîne d’approvisionnement. Ces erreurs se sont manifestées lors de la cueillette, de l’expédition et de la réception, ce qui a entraîné, au mieux, des inexactitudes dans les stocks et, au pire, des rejets de débit des détaillants aux marques. Il est intéressant de noter que l’étude a également révélé que les marques et les détaillants acceptent généralement les erreurs inhérentes au processus et tentent des «solutions de contournement» qui entraînent souvent des erreurs supplémentaires.
À l’inverse, pour les marques utilisant des étiquettes RFID pour capturer des informations et rapprocher des envois, la précision des commandes était supérieure à 99,9% (une seule commande comportait une erreur). Au cours de cette étude, les rejets de débit chez le détaillant ont été pratiquement éliminés pour ceux qui utilisent la technologie RFID.
Terrain de jeu des professionnels de l’étiquetage, des innovations sont d’ailleurs régulièrement dans le domaine de la RFID, en particulier pour le textile. Fujitsu Frontech North America Inc., a ainsi annoncé sa nouvelle étiquette RFID lavable super mince de cinquième génération. La nouvelle étiquette est de 30 à 40% plus petite que les étiquettes actuelles, ce qui lui permet d’être insérée dans les plus petites coutures d’articles lavables, et devrait être disponible durant le premier trimestre 2019. La start-up française Primo1D propose elle une nouvelle solution de traçabilité, en intégrant une minuscule puce RFID passive (sans besoin d’énergie extérieure) dans un fil de couture textile permettant ainsi de suivre et d’authentifier un vêtement, depuis sa fabrication jusqu’à l’après-vente.
La start-up israélienne Quickwy miniaturise quant à elle des Beacons (petits boîtiers capteurs utilisant une connexion Bluetooth) pour les coudre, comme des tags de radio-identification (RFID), dans les vêtements. Chaque dispositif fait environ 5 mm d’épaisseur et permet d’activer des services, pour les clients comme les équipes en magasins, à un prix nettement inférieur à la RFID. L’usage du beacon bluetooth permet aussi d’apporter des services aux clients, puisque les téléphones peuvent lire ce format. Côté prix, la start up annonce un coût du tag à 10 cents, soit nettement moins onéreux qu’une puce RFID. Les premiers tests devraient démarrer sous 9 mois pour sur une industrialisation sous deux ans.
Les capteurs dotés d’un dispositif d’activation RFID sont ainsi au centre de l’Internet des Objets (IoT) dont on parle de plus en plus.
La sécurisation par le partage de l’information: digitalisation et connectivité vers l’industrie 4.0
La supply chain de demain, celle qui a pour ambitieux objectif de transformer l’industrie traditionnelle en industrie du futur, sera une “digital supply chain”. Elle devra permettre le partage des informations utiles en temps réel en interne mais également en externe, et ce de façon complétement sécurisée, que se soit en terme de confidentialité, de protection des données, de conformité de l’information, de lutte contre le piratage industrielle, etc.
Lectra, partenaire technologique pour les entreprises utilisatrices de tissus, a annoncé la sortie de sa dernière solution PLM (Product Lifecycle Management), Lectra FashionPLM 4.0 . Cette version améliorée offre plusieurs nouvelles fonctionnalités et des outils qui sont conçus pour le rendre plus facilement connecté et configurable, en aidant les entreprises de mode travailler de manière plus intelligente et plus agile dans un environnement informatique convivial. Dans la dernière version de Lectra Fashion PLM 4.0, la société a développé Lectra Easy Connect , une série de connecteurs préconfigurés qui permettent à la solution d’interface avec d’ autres systèmes informatiques tels que ERP (progiciel de gestion intégré ) et CRM (Customer Relationship Management) . Ces connecteurs assurent l’ intégrité des données en facilitant une circulation fluide et cohérente des données entre les acteurs de la chaîne d’approvisionnement interne et externe.
Un de ses concurrents, la société Gerber Technology, vient de lancer la solution FashionTech Platform 1.0, qui comprend des logiciels, des équipements et des services de conseil pour la mise en place d’un modèle de production activé à la demande avec un système de commerce électronique intégré et une conception à la demande pour l’impression, la découpe et la couture. La première installation de FashionTech Platform 1.0 sera réalisée en partenariat avec l’entreprise américaine OnPoint Manufacturing . Une des grande préoccupation de Gerber est la nécessité d’intégrer la numérisation dans la chaîne d’approvisionnement de la mode afin de permettre la rapidité, la réactivité et la personnalisation des process.
La supply chain de demain passera-t-elle par la blockchain?
Technologie de stockage et de transmission d’informations ultra sécurisée dont on parle beaucoup, la blockchain semble avoir de nombreux atout pour faire entrer la supply chain dans la une nouvelle ère.
Et cela commence déjà. par exemple, Chargeurs Luxury Materials a mis en avant la blockchain en cours de développement pour son label de laine mérinos écoresponsable Organica . « Grâce à la technologie de la blockchain et à des organismes de certification indépendants, nous pouvons la tracer depuis la ferme jusqu’en boutique, comme nous garantissons le respect des best practices à chaque étape du traitement de la laine », déclarait très récemment Déborah Berger, directrice générale adjointe en charge du développement de la société.
La startup Loomia, spécialisée dans les vêtements connectés, a développé une technologie permettant de savoir à quelle fréquence un vêtement est porté ou lavé, dans quelles conditions (météo, activités), et à quelles occasions. De précieuses informations pour les acteurs de l’habillement. Au sein d’une application dédiée, il est possible de contrôler ces précieuses données que l’on souhaite transmettre, à qui, et à quel prix. Sur une sorte de marketplace, les utilisateurs et utilisatrices échangent avec les entreprises et fixent directement, sans intermédiaire, le prix de leurs données. Les équipes ont développé leur propre crypto-monnaie avec laquelle il est ensuite possible d’acheter de vraies objets directement via l’application. Ces informations innovantes sont sécurisées par la technologie Blockchain et sont régies par le consentement explicite des consommateurs à partager leurs données dans un échange mutuellement bénéfique et transparent.
Si le développement durable n’est plus une option pour les entreprises, la digitalisation des process et des données non plus. Cette problématique est bien réelle, et elle est la même que le réseau de fournisseurs soit actif localement, nationalement ou à l’international.Et ce ne sont plus des objectifs à atteindre, mais des moyens nécessaires pour garantir les performances économiques, environnementale et sociale des entreprises d’aujourd’hui et de demain.
Source: IFTH – 09/11/18