Mode in Textile

Comment la Chine se prépare-t-elle pour sa nouvelle “route de la soie” ?

A quelques kilomètres de l’aéroport Roissy Charles de Gaulle, était inauguré en novembre 2018 à Tremblay-en-France (Seine-Saint-Denis) un nouveau centre d’affaires, « Silk Road Paris ». Situé près des autoroutes A1, A3 et A104, le centre d’Affaires a été annoncé comme le plus grand centre d’Europe de commerce de grossistes, et a principalement attiré des commerçants d’origine chinoise, pour la plupart installés à Aubervilliers (où une grande partie des grossistes du Sentier s’étaient déplacés) ou encore dans Paris.

Cette initiative semble avant tout s’inscrire dans le nouveau projet du gouvernement chinois baptisé “La Ceinture et la Route”, et qui souhaite établir de nouvelles routes de la soie. Avec un budget global de 800 à 1000 milliards de dollars, investis par le gouvernement chinois mais aussi différentes banques sur lesquelles la Chine a la main mise, le projet s’annonce d’une grande envergure, et prend par ailleurs place dans un contexte commercial en plein changement, donc la Chine est l’acteur principal. 

De nouveaux lieux de distribution et de production 

Anciennement baptisé «Paris Asia Business Center », le Silk Road Paris se présente comme un centre « B to B » nouvelle génération, d’une superficie de 200 000m2 et comprenant plus de 900 comptoirs, est sécurisé, est destiné aux importateurs et exportateurs asiatiques. Ce nouveau centre s’inscrit donc dans la stratégie politique du gouvernement chinois baptisée «la Ceinture et la Route » qui prévoit de réactiver les voies commerciales entre l’Asie, l’Europe mais aussi l’Afrique. Mais quelle est exactement cette “nouvelle route de la soie” ? 

Comme l’explique l’économiste Jean-François Huchet « L’idée de départ était de créer une version moderne des anciennes routes de la soie qui, des siècles durant, assurèrent le commerce entre l’Asie et l’Europe, principalement en direction de l’Europe. Ce réseau de routes essentiellement terrestres, qui s’est éteint au cours du XVe siècle pour des raisons diverses et variées, a été abandonné au profit de routes maritimes que sillonnèrent les navires des compagnies des Indes orientales jusqu’à la fin du XIXe siècle. ».

Le projet, loin, d’être une simple initiative économique, semble progressivement redéfinir les cadres de la mondialisation et de l’économie mondiale, et pourrait englober plus d’une soixantaine, et une multitude de secteurs, allant du textile, à la marine, l’énergie, le tourisme, les télécommunications, entre autres. Une initiative que la France semble soutenir, activement.

Pour le Figaro, “les «nouvelles routes de la soie» mènent au coeur de la région parisienne“. Certes et ces routes mènent aussi à Marseille, au MIF68 (Marseille International Fashion Center). Situé à 15 minutes de voiture de l’aéroport international Marseille Provence ainsi que de la gare Marseille Saint-Charles, et à 10 minutes de voiture du port maritime de Marseille-Fos, le centre d’affaires de grossiste est présenté comme “un espace unique regroupant en un seul endroit des grossistes du centre-ville de Marseille, d’Aubervilliers, d’Espagne et de Prato, répartit sur 2 allées principales, les rues « Marseille » et « Shanghai »“. Au niveau international, le MIF68 a permis d’établir des passerelles entre la province chinoise du Zhejiang, le sud de la France et l’Afrique du Nord, facilitant ainsi des flux commerciaux et notamment maritimes.

L’arrivée de ces centres d’affaires n’est pas sans conséquence, et entérine une modification progressive du paysage l’import-export en France. En effet, comme l’explique Anne Sophie Cathala pour Le Figaro, “la fin des quotas d’importation de textile chinois, en 2005, a bouleversé à la fois l’économie française du secteur et le paysage parisien. D’abord est apparu le « Sentier chinois », avec les fabricants et grossistes d’origine chinoise des IXe et IIe arrondissements de Paris, où ils ont rejoint les communautés juives d’Afrique du Nord. Puis la confection y a ralenti, au profit du gros importé, qui s’est ensuite développé hors de Paris, d’abord au CIFA [à Aubervilliers].” Aussi, si la France semble être un allié dans cette nouvelle route de la soie, il est évident que ces initiatives bousculent profondément le marché français du textile, et notamment le Sentier traditionnel.

Un statut d’intermédiaire pour de nouveaux lieux de production

Il est intéressant de s’intéresser au vocabulaire utilisé pour parler de la Chine en matière économique et industrielle dans la presse française. “Empire du milieu”, “Usine du monde”, “offensive chinoise” , ces termes témoignent des représentations que nous nous faisons de la Chine et de sa puissance économique – avérée – notamment en matière de textile. Mais ils témoignent également de la puissance multiscalaire du pays, et de son influence à un niveau industriel, politique mais aussi culturel.

Cependant en matière textile, la Chine n’est plus réellement l’Usine du monde – mais un producteur, un investisseur, un intermédiaire. Si autrefois les entreprises occidentales externalisaient leur production en Chine, en Inde ou au Sri Lanka, ces pays sont désormais des intermédiaires et des partenaires financiers privilégiés dans plusieurs pays d’Afrique.  En juin 2018, plusieurs médias dont Les Echos, Le Monde ou Le Courrier International relayait l’industrialisation lancée par le gouvernement éthiopien, soutenue financièrement par la Chine, notamment en matière textile.

Comme le relate Le Monde, de 2005 à 2012, les entreprises chinoises ont été impliquées dans plus de 700 projets en Ethiopie – opérationnels ou en cours de mise en œuvre – employant au total quelque 165 000 personnes. Avec des salaires 8 à 10 fois moins élevés qu’en Chine – salaires qui ont fait l’objet d’entente entre les différentes entreprises par ailleurs – l’Ethiopie, qui souhaite passer d’une économie agraire à une économie manufacturière a fait le choix de miser sur le secteur textile pour booster sa croissance. Une réussite en devenir, puisque l’Ethiopie, deuxième pays d’Afrique le plus peuplé (100 millions d’habitants) a connu une croissance de 8,5% en 2018, la plus forte du continent Africain. En cause, une augmentation de ses exportations, et la future entrée en activité de trois nouveaux parcs industriels, semblables aux parcs de Bole Lemi, Hawassa, Mekele, Kombolcha et Adama déjà actifs. Il est intéressant de noter que certains groupes, par exemple le groupe italien Calzedonia, ont inauguré des usines textiles dans le pays, tandis que d’autres se sont associés à des parcs industriels, tels que H&M, Inditex ou Décathlon.

Aussi, si l’Ethiopie semble vouloir s’affirmer à terme comme le futur hub du textile et de l’habillement mondial, la Chine y jouera probablement un rôle important. Un rôle d’autant plus important que la Chine est toujours aux prises avec les Etats-Unis dans le cadre de la guerre commerciale en cours depuis janvier 2018, et que le pays connaît dans le cadre de son nouveau plan de croissance des modifications profondes en matière de sourcing et de consommation.

-26/03/19-